Paul Tillich, un théologien de la grâce

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Paul Tillich, un théologien de la grâce

6 avril 2011
Qui sont les théologiens protestants marquants? Que disent-ils ? En quoi leurs réflexions éclairent-elles les problèmes du siècle? Nous suivons Henry Mottu, professeur honoraire de la Faculté autonome de théologie protestante de Genève, qui a choisi douze figures de la théologie et de la philosophie religieuse au XXe siècle.


Une proposition de Tania Buri

Quand l'actualité nous le permet, vous recevrez une synthèse des textes publiés par Henry Mottu, présentant brièvement un théologien et un ou deux points de sa doctrine. L'enjeu est de faire connaître ses figures hors des cercles d'initiés.

La démarche du professeur genevois s'apparente à une branche anglo-saxonne de la théologie, qui s'appelle World Christianity. Henry Mottu a rencontré la plupart des théologiens dont il parle. Et nous le remercions de mettre son travail à notre disposition, dans un livre publié il y a quelques années chez Labor et Fides et intitulé Dieu au risque de l'engagement. Nous choisissons de commencer par Paul Tillich.
Mais qui était Paul Tillich? Paul Tillich est un théologien et un philosophe de la religion, né en Allemagne en 1886 et mort aux Etats-Unis en 1965. On distingue plusieurs périodes dans sa vie.
- la période du socialisme religieux (1926-1933). Il rédige un écrit contre le nazisme. Dans la foulée, il est démis de ses fonctions universitaire et s'exile aux Etats-Unis.
- la période de l'exil. Professeur de « théologie philosophique » à l'Union Theological Seminary de New York, il rédige et prononce aussi des prédications. Il est à l'origine du mouvement appelé Clinical pastoral training, qui vise à articuler la psychologie et la théologie pastorale. Henry Mottu s'est concentré sur le Tillich de cette dernière période en se penchant sur une prédication de l'auteur et sur un de ses livres importants : Le courage d'être.
Une discipline-frontière: la philosophie de la religion


Le théologien allemand s'efforcera de rejoindre ses contemporains là où ils sont et de prendre en cpmpte la situation culturelle de l'homme contemporain, situation qu'éclairent à leur manière l'existentialisme, la psychologie et la sociologie.

Paul Tillich sera donc l'homme de la frontière, qui entreprendra toute sa vie de construire des ponts comme entre théologie et philosophie, l'Allemagne et l'Amérique, entre le monde ouvrier et la bourgeoisie... « La frontière, disait-il, est l'endroit idéal où acquérir des connaissances. »

La prédication: « Vous êtes acceptés » Le théologien est enraciné dans la tradition luthérienne, dans l'expérience luthérienne de la justification par la foi seule. Il va relire cette expérience en termes contemporains : simul peccator et iustus « Tu es en même temps pécheur et pardonné », inacceptable aux yeux de Dieu comme à tes propres yeux, et pourtant, en dépit de cela, tu es accepté. »

Dans la préface au recueil de prédications intitulé Les Fondations sont ébranlées (New York, 1949), Paul Tillich explique qu'il aime à croire « que le caractère strictement systématique d'une théologie ne l'empêche pas d'être « pratique », c'est-à-dire applicable aux problèmes tant personnels que sociaux de notre vie religieuse ».

Beaucoup de ses auditeurs venaient de l'extérieur du cercle chrétien. « Pour eux, écrit-il, j'étais obligé de chercher un langage qui exprimerait en d'autres termes l'expérience humaine que vise la terminologie biblique et ecclésiale ». Ce point est important car Paul Tillich tient à présenter une translation non de sens, mais de termes, de formes langagières, de symboles.
Une analyse de sermon

Le texte biblique que le prédicateur commente est un passage de l'épître aux Romains:

« Or, la loi est intervenue pour que l'offense abondât, mais là où le péché a abondé, la grâce a surabondé. » (Romains 5, 20)

Paul Tillich pense qu'il y a une permanence de « mots archétypes » et que, si nous devons les traduire, nous ne pouvons pas nous en passer. Au début de sa prédication, le théologien dit très clairement qu'il y a « un mystère des grands mots dans notre tradition religieuse: ils ne peuvent être remplacés ». Il n'y a pas de substituts proprement dits au mot « péché » et « grâce ». Or, comme nous ne pouvons pas culturellement les reprendre tels quels à notre compte, il faut trouver et montrer « le chemin par où l'on peut redécouvrir leur sens, ce même chemin qui nous conduit dans les profondeurs de notre existence humaine ».


Le prédicateur demande: « Les hommes de notre temps ont-ils encore un sentiment de ce que signifie le péché? » Le péché n'est pas un acte immoral, une transgression ; on ne devrait d'ailleurs pas parler des péchés, au pluriel, mais de notre état de pécheur au singulier. Paul Tillich propose alors un autre mot: séparation, « qui n'est pas un substitut pour le mot péché, mais qui nous mettra sur le chemin de son explication ». Or, la séparation est « une donnée de l'expérience de chaque homme » .

Suit un deuxième essai d'interprétation du mot grâce.

Parfois, une onde lumineuse fait alors irruption dans notre obscurité et c'est comme si une voix nous disait: « Tu es accepté. Tu es accepté, accepté par cela qui est plus grand que toi et dont tu ne sais pas le nom. Ne demande pas ce nom maintenant; peut-être le trouveras-tu plus tard. Ne fais rien maintenant ; peut-être plus tard feras-tu beaucoup. Ne cherche rien ; n'accomplis rien ; ne projette rien.

Accepte simplement le fait d'être accepté. » Si cela nous advient, c'est l'expérience de la grâce. Après une pareille expérience, il se peut que nous ne soyons pas meilleurs qu'avant. Mais tout est transformé. A ce moment-là, la grâce triomphe du péché et la réconciliation comble le fossé de la séparation. Cette expérience n'exige rien, aucun a priori moral, religieux ou intellectuel, rien que l'acceptation
. (Les Fondations sont ébranlées, p. 222)

Le prédicateur interpelle directement ses auditeurs de manière dramatique. Et ce que le prédicateur a voulu monter en conclusion est que, si péché et grâce « sont des mots étranges, ce ne sont pas d'étranges choses ».

Le courage d'être
Dans ce livre, Paul Tillich distingue ce qu'il appelle le courage d'être (dans un projet collectif de transformation de la société, par exemple) du courage d'être soi-même (défendu par la philosophie existentialiste). Notre philosophe-théologien tente même de donner une sorte de typologie des fins d'époque, des époques de décadence qui peuvent être appelées des « périodes d'angoisse » :
- fin de l'Antiquité (angoisse du destin et de la mort) ;
- fin du Moyen Age (angoisse de la culpabilité et de la condamnation – Luther) ;
- fin de la modernité (angoisse du vide et de l'absurde – notre situation contemporaine)

L'interlocuteur privilégié de Paul Tillich est l'homme qui doute. Cet homme, comme le dit Jean-Pierre LeMay, le traducteur du livre, « marche dans la nuit avec le sentiment d'avoir perdu, ou d'être en train de perdre, le sens de son être et de sa vie ». Le sentiment de se perdre, voilà l'angoisse existentielle.

Pour y répondre, Paul Tillich reformule le coeur de la doctrine de la justification par la foi seule:

Au centre du courage protestant de la confiance se trouve le courage d'accepter d'être accepté en dépit de la conscience de la culpabilité. Luther et, en fait, toute son époque ont fait l'expérience de l'angoisse de la culpabilité et de la condamnation: ce fut la forme principale de leur angoisse. Le courage de s'affirmer soi-même en dépit de cette angoisse est ce courage que nous appelons le courage de la confiance. (...) (Le courage d'être, p. 131.)

Paul Tillch est un théologien de la grâce. Il nous aide dans notre recherche du sens, conclut Henry Mottu, même et surtout quand nous l'avons perdu (ou quand nous croyons l'avoir perdu). A propos de ce que Paul Tillich appelle la « révélation fondamentale », il a cette remarque magnifique: « Ce qui est manifesté (dans cette révélation fondamentale) est le Dieu des sans-Dieu, la vérité de ceux qui sont sans vérité, la plénitude de sens de ceux que le sens a délaissés ».

  • LIRE

    • Henry Mottu, Dieu au risque de l'engagement. Douze figures de la théologie et de la philosophie religieuse au XXe siècle. Genève, Labor et Fides, 2005 (coll. Pratiques, 22), 190 p.
    • Paul Tillich, Le Courage d'être, Labor et Fides, Le Cerf, Presses Université de Laval, 1999.
    • La Dogmatique, dont le cinquième et dernier volume a été publié en traduction en 2010, ainsi que les autres œuvres de Paul Tillich traduites en français, se trouvent chez Labor et Fides / Le Cerf / Presse de l'Université de Laval.