La Fondation Gianadda, un nouveau temple pour l'art

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La Fondation Gianadda, un nouveau temple pour l'art

6 juin 2011
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Maurice Denis, Avril-Les Anémones, 1891Les foules visitent les musées avec une vénération quasi religieuse. A Martigny, on innove en accueillant gratuitement des célébrations œcuméniques qui s’inspirent des expos en cours.

Par Anne-Sylvie Mariéthoz

« Je ne connais aucun musée ni aucune fondation artistique qui accueille ce genre de célébration religieuse », affirme Pierre Boismorand, en charge de la paroisse protestante de Martigny-Saxon.

En 2010, lors de l'exposition à la Fondation Gianadda des icônes de la galerie Tretiakov, le pasteur a demandé à Léonard Gianadda la permission de photographier certaines images pour les projeter à l'église protestante. Ce dernier l'a plutôt invité à venir célébrer le culte directement à la fondation. Le pasteur a alors contacté les chanoines de la paroisse catholique, qui ont aussitôt accepté de s'associer à l'événement.

Il faut relever qu'à Martigny, les communautés catholique et protestante s'invitent souvent mutuellement et organisent beaucoup d'événements en commun. « Il y a une grande confiance qui permet une collaboration très fraternelle entre nous », se réjouit le pasteur.

Depuis plus de 2000 ans

Le climat entre les communautés religieuses n’a pas toujours été aussi serein, se souvient Léonard Gianadda qui, cinquante ans plus tôt, n’avait pas pu se marier en Valais avec son épouse Annette, de confession protestante. Mais quand il se penche sur l'histoire de Martigny et songe aux divers cultes qui se sont succédé à l'emplacement de la fondation qui porte le nom de son frère, ces différends entre communautés religieuses l’amusent.

« Au début il y avait un temple celte et, quand les Romains ont conquis la région, ils ont consacré ce sanctuaire à Mercure, le dieu des voyageurs – Martigny étant située sur le passage du col du Grand-Saint-Bernard. Puis j’ai également trouvé à 20 m d’ici un temple dédié à Mithra, une divinité d’origine iranienne, qui a inspiré un culte monothéiste concurrent du christianisme à ses débuts. » Les celtes, les romains, Mithra et, en 2010, les icones orthodoxes russes, commentées par des officiants catholiques et protestants... « Le passage est sympathique », sourit le maître des lieux.

Il faudrait trouver un nouveau mot pour qualifier cet événement. Célébr-art-tion? L’idée est de créer une atmosphère de prière et de faire résonner et raisonner spirituellement ces œuvres d’art, par la musique et la Parole.

L’aspect œcuménique est un élément de cette célébration, même s'il n'en constitue pas forcément le point central. « Car à Martigny, nous n’avons plus rien à prouver de ce côté-là », souligne Pierre Boismorand. La spécificité de cette célébration se situe plutôt dans le lien entre art et spiritualité, tel qu’il est mis en évidence à cette occasion, estime le pasteur.

Il faudrait trouver un nouveau mot pour qualifier cet événement. Célébr-art-tion? L’idée est de créer une atmosphère de prière et de faire résonner et raisonner spirituellement ces œuvres d’art, par la musique et la Parole. Les deux officiants choisissent chacun quelques images qu'ils projettent sur un écran et commentent pour l'assistance. « Ces images ne sont pas obligatoirement d'inspiration religieuse, note le pasteur Boismorand. Certaines œuvres profanes nous parlent également de spiritualité sans qu'on force le trait pour les orienter dans ce sens. »

Du jazz avec Nicolas de Staël

Le prêtre et le pasteur se partagent les différentes partie de la cérémonie - accueil, louange, prière, méditation, bénédiction notamment - qui sont entrecoupées d'intermèdes musicaux en rapport avec la thématique de l'exposition ou avec l'époque de création des tableaux. « Lors de l'exposition consacrée à Nicolas de Staël, c'est un groupe de jazz qui était venu animer la cérémonie, en hommage au peintre qui se passionnait pour cette musique. » Alors qu'en mai dernier, dans l'exposition intitulée « De Renoir à Sam Szafran », le pianiste et la flûtiste ont joué différents morceaux des XIXe et XXe siècles.

Cette célébration va-t-elle se renouveler ? « Dans la mesure du possible, nous sommes heureux de vivre ce moment ensemble, toutes les fois que l'exposition s'y prête. Le public est toujours au rendez-vous et il apprécie. Rarement il nous témoigne sa reconnaissance comme il le fait à cette occasion. » Une prochaine célébration (le dimanche 30 octobre à 18h30) est donc envisagée dans le cadre de l'exposition dédiée à Claude Monet (17 juin - 20 novembre 2011), avec la participation de Guy Luisier, chanoine de Saint-Maurice, et la présence exceptionnelle d’Isabelle Pierron, pasteure de Chamonix, « qui s'enthousiasme pour cet événement et a souhaité se joindre à nous ».

« Ils peuvent venir quand ils veulent, bien sûr, déclare Léonard Gianadda. Si je peux apporter quelque chose, je le fais volontiers, dans ce domaine aussi. » Faire connaître la fondation n'est pas une fin en soi. « Je les accueille pour rendre service et parce que l'événement est de qualité. Mais si, par la même occasion, des personnes découvrent la fondation, c’est d'autant mieux. »

Partager sa passion pour l'art reste le moteur principal. « C'est ce qui me touche le plus dans l'exposition actuelle, le fait qu’un collectionneur ait réussi à composer une telle collection et à la prêter, anonymement, pour en faire profiter un plus grand nombre. Ça me parle, car ça participe de l'état d'esprit qui anime ces lieux. »

Cet article a été publié dans :
le quotidien vaudois 24 heures le samedi 4 juin 2011.