Un théologien « à l’air libre »: Auguste Sabatier

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Un théologien « à l’air libre »: Auguste Sabatier

Bernard Reymond*
7 décembre 2011
Que savons-nous de Dieu: le connaissons-nous tel qu’en lui-même ou ne connaissons-nous que la relation que nous avons (ou que nous n’avons pas !) avec lui ?
Auguste Sabatier, théologien français de grande envergure, fondateur de la faculté de théologie protestante de Paris, donnait sa vision au cap du 20e siècle. Que reste-t-il de sa pensée aujourd'hui?

Qu’il s’agisse de nous ou de ceux qui ont mis le message biblique par écrit, voire de Jésus lui-même, c’est la seconde possibilité qui semble s’imposer. Et comme la foi, dans sa réalité profonde, est toujours éminemment subjective, nous n’en pouvons rendre compte que dans un langage symbolique.

Or toute l’histoire de la pensée chrétienne est là pour nous convaincre que la seule autorité de ces diverses manières de dire la foi tient non à leur libellé, mais au message qu’elles véhiculent. Il faut se garder d’attribuer à ce qui, dans la foi, est humain une autorité qui doit rester celle de Dieu – celle que Dieu exerce par l’action de son Esprit dans le cœur, l’intelligence et la conscience des hommes.

Cette démarche toujours actuelle est dans l’ensemble celle d’Auguste Sabatier qui fut, au cap du 20e siècle, l’un des théologiens les plus marquants du protestantisme d’expression française. Né en 1847 dans un village ardéchois, il fit au terme de ses études un voyage en Allemagne qui lui permit d’entendre le théologien Richard Rothe. Il reprit d’emblée sa devise à son propre compte : « Etre pieux à l’air libre. »

Toute sa vie, Sabatier est resté convaincu que, comme il disait, « Jésus s’était placé de lui-même au centre de sa vie », mais aussi que la pensée chrétienne ne doit jamais hésiter à s’exposer à de fortes exigences critiques envers les expressions de la croyance.

Pensée paulinienne évolutive

Sa première grande étude, L’apôtre Paul (1870), avait pour sous-titre Esquisse d’une histoire de sa pensée. Il renonçait à prendre ses écrits comme un tout dont il suffirait de remettre en ordre les différents éléments pour en faire un corps de doctrine, et montrait que la pensée de l’apôtre est passée par toute une évolution. « Paul était préoccupé d’autre chose que de spéculation et de logique… Il n’a jamais procédé à la manière d’un philosophe qui construit d’abord sa doctrine et qui l’enseigne ensuite à ses disciples. Il y avait autre chose que la métaphysique à la base de sa prédication ; il y avait le fait moral de sa conversion. »

Même démarche en 1880 dans un grand article d’encyclopédie sur « Jésus », à cette différence près que les documents à disposition ne permettent pas de reconstituer son évolution intérieure. Sabatier aboutissait ainsi à cette affirmation : « Dieu n’a pas laissé tomber l’Evangile du ciel ; il ne l’a pas envoyé par l’intermédiaire d’un ange ; il a fait naître Jésus des flancs même de la race humaine, et Jésus nous a donné l’Evangile éclos au fond de son cœur. » Les paroles de Jésus doivent donc être lues, elles aussi, avec discernement.

En 1897, Sabatier fait évènement dans le milieu parisien et même en Europe, voire aux Etats-Unis, avec la publication de son Esquisse d’une philosophie de la religion d’après la psychologie et l’histoire, un livre magnifiquement écrit dans lequel il disait sur un ton très personnel avoir voulu « dire et faire comprendre aux hommes de ma génération pourquoi, en ce qui me regarde, je reste religieux, chrétien et protestant ».

Exigences de l’enquête historique

Insistant sur le fait que « le symbole est le seul langage qui convienne à la religion », il restait fidèle à sa double démarche : tenir compte, au nom de ce qu’il appelait la « psychologie », de la réalité de la vie religieuse, toute subjective qu’elle soit, et ne renoncer en rien aux exigences de l’enquête historique portant sur les documents de cette vie religieuse, par exemple les écrits bibliques.

Sabatier meurt en 1901, juste après avoir fini d’écrire sa dernière œuvre : Les religions d’autorité et la religion de l’Esprit. C’est en français l’une des plus magistrales et plus conséquentes critiques des systèmes ou régimes d’autorité en matière de religion, que ce soit dans le catholicisme avec le dogme de l’infaillibilité pontificale ou dans le protestantisme avec l’érection de la Bible en « pape de papier ». Cela avant de s’en prendre au « dernier bastion des systèmes d’autorité » : celle qu’on croit pouvoir ou devoir accorder aux historiens quand ils s’estiment en mesure d’isoler dans les évangiles les paroles qui seraient authentiquement celles de Jésus.

Sabatier était issu d’un milieu piétiste, voire revivaliste. Son œuvre garde toute sa pertinence, voire une bonne part d’actualité, au moment où l’évangélisme semble faire un retour en force dans le protestantisme. Elle est une incitation à repenser la situation sans s’enfermer dans des conceptions toutes faites.

A lire
*Bernard Reymond publie un livre qui vient de sortir de presse chez Labor et Fides: Auguste Sabatier, un théologien à l’air libre (146 p.)