Le traducteur d’un sage et la sagesse de la traduction

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Le traducteur d’un sage et la sagesse de la traduction

Muriel Schmid
15 février 2012
Dans un monde globalisé, qu’en est-il de l’importance et de la fonction de la traduction ? Pendant longtemps, les conditions d’une bonne traduction se limitaient au respect du texte, de son vocabulaire, de son ton et de sa poésie. Les avis semblent avoir changé et l’on parle maintenant plus volontiers de la dimension profondément culturelle de la traduction.

, Université de l'Utah

Dans le monde francophone occidental, le nom de Thupten Jinpa n’évoque pas grand'chose. Or, depuis plus de 20 ans, il est le traducteur officiel du Dalaï Lama dans le monde anglophone. Il ll’a accompagné un peu partout autour du globe afin de lui servir d’interprète.

Il me revient la difficile tâche de le présenter à un public venu assister à sa conférence dans le cadre d'un colloque à l'Université de l'Utah. Je dois conter en quelques mots son riche parcours. La salle est pleine à craquer et toute la communauté tibétaine de Salt Lake City est présente; pour eux, Thupten Jinpa est une sorte de saint.

Le rôle des théologiens dans la traduction moderne

Je choisis de dire quelques mots sur le concept de traduction. Une responsabilité éthique se dessine pour le traducteur contemporain, plutôt qu’une simple tâche linguistique: traduire doit avant tout rendre compte de la diversité des contextes culturels, de leur altérité et de leur richesse. La traduction n’est plus comprise comme un phénomène d’appropriation, mais de manière plus complexe, la traduction est devenue ouverture sur le monde et sur la différence; une parole qui interroge et qui devrait fondamentalement remettre en question nos habitudes de langage.

En y pensant, je me demande dans quelle mesure les théologiens n’ont pas un rôle essentiel à jouer dans ce nouveau monde de la traduction. Au fond, ne faisons-nous pas sans cesse cet effort de traduction? Ne sommes-nous pas continuellement à la recherche d’une traduction qui interroge et remet en question nos habitudes de langage ? N’avons-nous pas appris depuis longtemps que le texte est toujours porteur d’une parole autre?

« J’aime être un traducteur invisible »

Thupten Jinpa est un homme d’une grande modestie et simplicité; il me dit, après la conférence, combien il aime son rôle de traducteur, mais, précise-t-il, «j’aime être un traducteur invisible». Je me dis instantanément que le parallèle avec les théologiens s’arrête là ! Sommes-nous vraiment capables d’être invisibles? Ne traduit-on pas le plus souvent notre propre envie de contrôler le texte plutôt que de rendre compte d’un texte qui interroge?

Je réalise aussi combien ma vie dépend des traductions faites par d'autres et je me demande s’ils ont tous la sagesse de Thupten Jinpa ou si, comme de nombreux théologiens, ils ont de la peine à céder la place.

Quelques mots sur Thupten Jinpa

Ce petit homme dans la cinquantaine d’origine tibétaine a grandi en Inde comme de nombreux tibétains en exil et y a reçu son éducation dans un monastère bouddhiste avant de gagner l’Angleterre. Il a obtenu un doctorat en sciences religieuses de l’Université de Cambridge et réside aujourd’hui à Montréal. Même si Thupten Jiinpa a développé de nombreuses recherches sur la philosophie bouddhiste et la culture tibétaine, son nom est surtout connu dans le monde anglo-saxon, associé à la figure du Dalai Lama. MS