Partir à pied à Jérusalem
Florine a quitté son emploi et résilié son bail. Le dépouillement, tout larguer ? Est-ce une des motivations de cette jeune femme aux cheveux châtains ? « L'objectif n'est pas le dépouillement. C'est plutôt une conséquence de mes choix. Je ne vois pas l'utilité de mettre mes affaires dans un garde-meubles », dit-elle en riant et en secouant ses longs cheveux. « Je sais que je veux revenir en Suisse. C'est ici que j'ai mes racines et j'ai envie d'y faire ma vie. Mais je ne vais pas dire non à des opportunités si elles se présentent. Et je n'ai pas envie que des choses matérielles m'entravent. »
Elle ne fera pas le voyage seule. Petr, un Tchèque, qu'elle a rencontré au cours de ses pérégrinations, part avec elle. Florine n'en est pas à son coup d'essai. Elle a déjà fait le chemin de Compostelle en 2008 en quatre mois. Ce premier voyage a pourtant failli ne jamais voir le jour. « J'attendais toujours que quelqu'un veuille bien partir avec moi. Et vu que cela ne se faisait pas, je me suis dite, c'est cette année ou jamais. »
De son côté, Petr, 32 ans, a parcouru le chemin de Compostelle en six mois depuis la Tchéquie. Puis il n'est pas rentré et a continué par le Portugal avant de revenir sur l'Espagne et de continuer sur l'Italie.
Après quelques tribulations, Florine revient s'installer en Suisse en 2010. « J'étais en couple. J'ai repris mon travail d'infirmière, un appartement, une voiture. Puis en juin dernier, un événement est survenu à un proche, qui a complètement bouleversé ma vie. Dès ce moment-là, tout a été remis en question. « J'en suis sortie détruite », lâche-t-elle sans en dire plus par égard pour ce proche.
Après cet événement, Florine a cherché une issue. « Je me demandais comment se remet-on de cela ? Dans quelle direction faut-il aller ? Je ne savais plus à quoi me rattacher. Qu'est-ce qui pouvait être stable ? » Puis une idée lui a traversé l'esprit: « Et si je marchais jusqu'à Jérusalem. Cela m'a fait plaisir, car je me suis dite que je pouvais encore avoir des idées farfelues. » Puis tout s'est décidé très vite.
Marcher, c'est retrouver la fatigue physique, la simplicité, avoir faim, mal aux pieds. Retrouver un rythme aussi... Dormir quand on est fatigué, se lever quand il fait jour. « C'est comme un réaccordement interne », explique-t-elle.
Un réaccordement avec la nature aussi. Avec les couleurs. « Je me souviens que sur le chemin de Compostelle, je suis partie au printemps. Et pendant plus d'un mois, du matin au soir, j'ai baigné dans le vert... »
Quand on dit Compostelle ou Jérusalem, on ne peut pas manquer la dimension religieuse ou spirituelle de la démarche. Ce genre de préoccupations habitent cette jeune femme réformée depuis l'adolescence. Est-elle allée grapiller des réponses dans d'autres courants religieux ? « J'ai beaucoup lu sur le bouddhisme, le soufisme et d'autres philosophies. Mais je ne vais pas me convertir à une autre religion. Je trouve tout ce dont j'ai besoin dans la foi chrétienne. C'est vrai que j'ai fait un choix à un certain moment, nuance-t-elle. Et j'ai choisi de respecter mes racines. Je reste curieuse et ouverte aux autres courants, mais je ne veux pas m'assimiler à une autre culture. »
La prière fait partie de la vie quotidienne de cette jeune femme. « Cela s'est renforcé avec les épreuves et cela m'a été d'un grand soutien. »
Pour se préparer à ce pélerinage, Florine a fait appel à un pasteur lausannois. « Avec lui, je ne parle pas d'histoire ou de théologie, mais du sens de ce voyage. Il me fait travailler sur ce que partir signifie pour moi. »
Tania Buri
*(Légende photo: cap Finisterre, "fin de la terre, fin del mundo" en espagnol
là se trouve la borne du "kilomètre zéro". La tradition veut que, après avoir marché depuis chez lui, le pèlerin brûle les habits qu'il portait pour marcher en signe de purification, de nouvelle vie. "J'y ai donc brûlé mes vêtements", explique Florine. "Souvent, j'ai entendu, et je le crois, que la fin du pèlerinage est non pas un aboutissement, mais un commencement...").
Pars, s'il le faut" **
Florine et Petr partiront de Lucerne. « Nous passerons par l'Italie, la Croatie, d'autres pays de l'ex-Yougoslavie, la Grèce, la Turquie, la Syrie, si la situation le permet, puis Israël. »
Où dormirez-vous ? Dehors la plupart du temps. Et si ce n'est pas possible, nous demanderons l'hospitalité. Les gîtes sont payants, s'il y en a. Et souvent pleins. Alors j'ai appris sur le chemin de Compostelle à frapper aux portes. J'ai toujours été bien accueillie.
Et qu'offrez-vous aux gens qui vous accueillent ? Nous ne pouvons pas transporter beaucoup de choses, mais j'ai imprimé des cartes de remerciements. Je leur dédie aussi l'énergie libérée pendant la marche et une prière quand je serai arrivée à destination. C'est une promesse.
Vos habits ? Un habit sur moi et un habit de rechange.
Comment vous nourrissez-vous ? Il n'y pas de superette tout au long du chemin, mais il y a des fermes : on peut trouver du pain, des oeufs. Et dans la nature, des fruits...
Un livre ? Un Nouveau Testament miniature que je viens de recevoir.
De la musique ? De la musique qu'un ami m'a compilée sur mon iPod. Sur le chemin de Compostelle, c'est ce qui m'avait le plus manqué.
Des souvenirs ? Je vais écrire, dessiner, prendre des photos, j'aurai un blog. Petr a une page sur Facebook.
Jérusalem ? Nous avons quelques contacts sur place. Mais nous n'avons pas de choses fixes, agendées et prévues.
Que peut-on vous souhaiter ? Je ne sais pas. Mais je sais que ce que je cherche, c'est aller vers la vie, de la chercher, de la trouver, de la partager, sous n'importe quelle forme que ce soit, c'est mon fil rouge. TB
** Charles Baudelaire, Le voyage, Les Fleurs du mal
Pourquoi êtes-vous allée à Compostelle ? Cela faisait une quinzaine d'années que j'en rêvais. Cela a été magnifique de réaliser un rêve, d'être prête à lâcher des choses pour pouvoir accomplir ce qu'on a vraiment au fond de soi.
Qu'avez-vous découvert ? Je ne m'attendais pas à trouver des compagnons de route. J'ai rencontré plusieurs personnes avec qui j'ai marché entre 2-3 jours et deux semaines. Je m'étais faite à l'idée d'être seule pendant plusieurs mois.
Les peurs ? A la base je n'avais pas peur, mais quand j'en parlais autour de moi, certaines personnes essayaient de m'en dissuader... une femme seule, si loin, si longtemps... Je trouvais que c'était très exagéré, mais je me suis laissée contaminer par ces peurs... jusqu'à remettre en doute le projet.
Mais je me suis dit que je n'avais pas à prendre la peur des autres. Si je regarde au fond de moi, j'ai confiance. J'ai aussi reçu un soutien sans limite et de la compréhension de la part de proches. Et c'est un chemin sur lequel j'ai beaucoup appris la confiance, en un être supérieur comme dans la bonté des hommes.
Après Compostelle, je n'avais pas du tout le projet de repartir. J'ai rencontré des personnes qui ont fait Compostelle et qui n'avaient qu'une seule idée : recommencer. Tandis que moi je me disais que je ne le ferais plus jamais, ni Compostelle, ni de marche au long cours. TB
LIENS :
Le blog de Florine : www.signesdevie.ch (qui sera activé en mars)
La page Facebook de Petr : www.facebook/uPoutnika
Leurs adresses mail : myfloooo@gmail.com, upoutnika@gmail.com