Georgette Gribi, théologienne et... chevrière

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Georgette Gribi, théologienne et... chevrière

Samuel Ramuz
30 avril 2012
Elle jure que ce n'était pas voulu, mais elle a réintroduit la fabrication du fromage de chèvre dans la campagne genevoise, à deux pas de la ville. Théologienne de 41 ans, Georgette Gribi enseigne aussi les subtilités de l'Ancien Testament... et élève quatre enfants.


Dans sa vaste cuisine, la fine quadragénaire reçoit à la table familiale en bois massif. Sourire léger, Georgette Gribi s'assied : « Pâques, c'est la grosse saison ! » Dans la ferme de Cartigny, à un jet de pierres de la frontière française, le carnet de commandes pour la fin du mois est rempli : 54 cabris. En période de haute lactation, les chèvres ne ménagent pas l'éleveuse. Ses quatre enfants, âgés de 5 à 12 ans, à l'école, lui laissent pour leur part à peine le temps de souffler.

« Les chèvres ? Une petite fantaisie », rigole celle qui élève aujourd'hui... vingt-quatre chamoisées ! Il y a une dizaine d'années, avec son frère André et son mari Roger, prof de géo, Georgette achète d'abord deux bêtes pour faucher l'herbe du Champ Courbe – le nom du petit domaine familial de 4-5 hectares. Si elles broutent peu, les chèvres donnent du lait. La Genevoise se mue alors en fromagère.

Au début, Georgette tâtonne, échoue. Aujourd'hui, l'éleveuse produit 100 pièces de fromages de chèvre par jour à la haute saison – ce ne sera plus que 50 en automne et aucune en hiver. Le déclic se produit grâce à une soeur protestante d'origine allemande, rencontrée au village. « Elle fabriquait du fromage dans les Cévennes. Et là-bas, la confection artisanale du fromage de chèvre, c'est comme les recettes de confiture ici : ça se transmet entre voisines ! » sourit la fromagère artisanale. Du coup, sans le vouloir, le clan Gribi-Wiblé est pile dans le filon d'agriculture de proximité voulu par le canton : des produits de niche qui répondent à des enjeux éthiques.

Pédagogue ancrée dans le monde

Mais qu'est-ce qui destinait cette théologienne de formation à devenir chevrière ? Peut-être l'attachement à sa ferme, son « coin de terre », que cette casanière n'a quasiment jamais quittée. A moins que ce ne soit son goût des choses simples, du contact. A 18 ans, la jeune fille sort de l'école de commerce. Elle travaille chez un électricien comme secrétaire, s'embarque dans un diplôme de flûte à bec, se tâte.

Celle qui deviendra quelque années plus tard une spécialiste de l'Ancien Testament côtoie alors des petites gens, des monteurs peu qualifiés, peu payés, qui travaillent dur. Elle ne les oubliera pas sur les bancs de l'uni. « Grâce à eux, mais aussi aux paysans que je côtoie aujourd'hui, je reste ancrée dans le monde, c'est vital », souffle l'éleveuse.

Son pasteur de jeunesse, Alain Foehr, la voit bien pasteur. Mais Georgette, licence de théologie en poche, passionnée, saisit l'opportunité de devenir l'assistante du professeur Jean-Daniel Macchi, en Ancien Testament. Elle y reste cinq ans et décroche un diplôme d'études approfondies.

Son pasteur de jeunesse, Alain Foehr, la voit bien pasteur. Mais Georgette, licence de théologie en poche, passionnée, saisit l'opportunité de devenir l'assistante du professeur Jean-Daniel Macchi, en Ancien Testament. Elle y reste cinq ans et décroche un diplôme d'études approfondies. Le professeur Macchi souligne sa « ténacité et ses qualités de chercheuse et de pédagogue ». Elle a d'ailleurs repris pour six mois un 40% d'assistanat dans la même chaire depuis février de cette année.

Cet esprit de synthèse, Georgette en fait aussi profiter depuis 2005 les participants de l'Atelier oecuménique de théologie (AOT), un lieu de formation théologique de base ouvert à tous à Genève. Le public y est diversifié : éducateurs, juges, journalistes, avocats, femmes actives dans les Eglises. « On ne peut pas tricher avec ces gens, tranche-t-elle. Leurs questions sont existentielles, elles n'esquivent pas le mal, la mort. » L'enseignante y redécouvre les richesses de sa tradition protestante au contact de formateurs catholiques, jésuites par exemple. Elle dit préparer ses cours en songeant à ses collègues chevriers.

Un clan en action avant l'hiver

Si elle n'est pas pasteure, Georgette prêche pourtant, avec d'autres, dans sa paroisse de la Champagne. « Ce ministère de prédicateur laïque, comme on l'appelle, devrait être mieux valorisé par les Eglises réformées », souffle-t-elle. Mais la fromagère ne s'éloigne jamais trop de son laboratoire. « On ne peut pas dé-saisonner une chèvre, comme on dit. » C'est-à-dire que les saillies, les mises bas et la lactation suivent un rythme immuable.

Alors ces jours, elle doit se démener pour écouler sa production, estampillée Genève Régions Terre Avenir : un tiers en vente directe, le reste des fromages prenant le chemin de revendeurs locaux et... du Crowne Plaza, un grand hôtel du bout du lac. Les restaurateurs du cru en profitent aussi. Le chef des Curiades, à Lully (GE), a récemment mis à sa carte un mille-feuille de son fromage de chèvre avec de la féra fumée et des pommes.

« J'ai essayé de rester seule à la maison avec mes enfants, mais je n'arrive pas », avoue notre mère de famille, le sourire aux lèvres, passionnée. « J'essaie de me soigner ! » En attendant, c'est tout le clan qui se démène. Matthias, l'aîné des enfants Gribi, fabrique des petits fromages en pots à l'ail et au persil, au retour de l'école. Ses soeurs, Maïlys, 8 ans, et les deux jumelles, Lucie et Ellea, s'y mettent aussi petit à petit. Leur oncle, lui, a la haute main sur huit des quatorze traites hebdomadaires, matin et soir. Le reste de la famille, grand-parents y compris, se répartit le solde. Un aide de ferme donne de précieux coups de main.

Georgette troquerait-elle cette vie contre une autre, plus calme ? Sûrement pas. Elle parvient même à dégager du temps pour quelques cours de chant. Et puis, quand les jours raccourciront, elle quittera la fromagerie, son « domaine » comme elle dit. Dans le creux de l'hiver, notre laitière aux yeux bleu-verts replongera dans les Ecritures millénaires, peaufinera son enseignement, potassera ses prédications. Un retour aux sources avant l'arrivée de la belle saison.


Georgette Gribi en 5 dates


1971 : « J'ai eu 40 ans l'année dernière ! »

1994 : « Mon mariage »

1996 : « L'année où je suis entrée à la fac de théologie »

2007 : « La construction de notre chèvrerie »

2009 : « La reconnaissance de notre exploitation par le Service de l'agriculture »

Elle aurait voulu encore citer la naissance de chacun de ses enfants, « mais ça commençait à faire beaucoup ! »

Infos

La famille Gribi-Wiblé (rue du Temple 6, 1236 Cartigny) fournit des informations sur ses produits, l'horaire d'ouverture de son magasin, etc. sur son site.

Vous trouverez ici des infos sur l'offre de formations de l'AOT.

Cet article a été publié dans :

L'hebdomadaire romand Femina le 29 avril 2012.