Pourquoi s'engage-t-on pour les autres ? Une étude bat en brèche certains clichés

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Pourquoi s'engage-t-on pour les autres ? Une étude bat en brèche certains clichés

Anne-Sylvie Mariéthoz
19 avril 2012
En matière d'altruisme, il n'y a pas les saints d'un côté et les égocentriques de l'autre. C'est ce qu'affirme une étude de l'Université de Lausanne réalisée auprès de cinq organismes caritatif,
syndical ou environnemental. Elle confirme aussi les recherches de sociologues sur la question des « justes » pendant la seconde guerre mondiale : le sentiment d'appartenir à une même humanité est un moteur de l'altruisme.

Le monde se partagerait-il entre deux tendances, deux façons de concevoir la relation à l'autre selon que l’on fait partie des altruistes ou des égoïstes ? « La réalité est beaucoup plus complexe », déclare Gian-Andrea Monsch, doctorant en sciences politiques à l'Université de Lausanne (Unil) et co-auteur de l'étude.

Soutenue par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS), elle a été réalisée sur la base de données récoltées auprès de Solidarité sans frontières, Greenpeace, Caritas, Société pour les peuples menacés et Unia.

L'un de ses résultats bat donc en brèche cette vision dualiste et simpliste de la société. « A la base de chacun de ces investissements volontaires, il y a presque toujours une combinaison d'incitations, certaines d'ordre privé, d'autres plus altruistes », souligne le scientifique, qui en a fait son sujet de thèse.

Ainsi, un militant engagé pour les droits des migrants ou pour le bien-être des générations futures, peut aussi trouver son intérêt dans le fait d’élargir son réseau social et d’acquérir des compétences. A contrario, une personne qui se serait affiliée à un syndicat dans le but de défendre ses propres droits, peut aussi éprouver une certaine satisfaction à prôner des valeurs qui lui tiennent à cœur et à militer pour des causes qui ne le concernent pas directement.

L'altruisme comme « survie » pour la société

Une conclusion qui semble frappée au coin du bon sens et qui pourtant contredit un modèle longtemps dominant en sciences sociales : celui consistant à postuler que l’individualisme et les intérêts personnels orientent tout comportement humain. Avant même que la discipline de la sociologie n’existe, il n’a du reste pas manqué de plumes cyniques ou misanthropes, pour nier la possibilité même de toute démarche véritablement altruiste. Or cette question est toujours débattue.

Mais pourquoi continue-t-elle à susciter autant d'intérêt auprès des chercheurs de diverses disciplines? La solidarité entre catégories sociales est une question de survie pour notre société, affirment certains sociologues, à commencer par Durkheim, un des fondateurs de la discipline. « L'altruisme n'apporte pas seulement des bénéfices incalculables à la communauté et à la société en général. Il est essentiel à la survie de la planète », affirme Oliner, près d'un siècle plus tard

Ce geste d'humanité marque alors tellement Oliner qu'une fois émigré aux Etats-Unis et devenu sociologue, il consacre toute sa carrière de chercheur à comprendre cette forme particulière d'altruisme.

Lancée en 2009 et dirigée par la professeure Florence Passy, l'étude confirme aussi des recherches antérieures sur l'altruisme. Parmi elles, celle due, précisément, au sociologue américain Samuel P. Oliner. Originaire de Pologne, il a 12 ans en juin 1942 lorsque toute sa famille est décimée par les nazis en raison de sa confession juive.

Il parvient à survivre jusqu'à la fin de la guerre grâce à l'aide d'une vieille connaissance de la famille, qui lui offre sa protection et lui apprend à dissimuler son identité. Ce geste d'humanité marque alors tellement Oliner qu'une fois émigré aux Etats-Unis et devenu sociologue, il consacre toute sa carrière de chercheur à comprendre cette forme particulière d'altruisme.

Capacité d'empathie

Dans ses travaux, Oliner recueille les témoignages de plusieurs centaines de ces héros anonymes de la deuxième guerre mondiale, les « justes » ayant porté secours aux juifs. Tout se passe comme si l'inhumanité flagrante dont faisait preuve l'assaillant nazi suscitait en eux un irrépressible élan d'humanité. « Je me trouvais face à des êtres humains pourchassés comme des animaux; je les voyais comme des frères et je ne pouvais m'empêcher de les aider », témoigne l'un des interlocuteurs.

« On m'a toujours appris à respecter tous les êtres humains », dit encore un autre. Capacité d'empathie et sens de la responsabilité sociale sont autant de traits que partagent ces personnes, qui ne peuvent tout simplement pas rester inactives face à la souffrance d'autrui, selon Oliner.

Depuis les années soixante en particulier, de nombreux chercheurs en sciences sociales se sont également intéressés à l'altruisme. Ces études n'ont pas permis de mettre en évidence des profils spécifiques, ni même la prévalence de valeurs particulières, notamment religieuses, qui conditionneraient les comportements altruistes.

Humanité partagée

Mais si différents soient-ils, les altruistes semblent néanmoins partager une certaine vision du monde qui les pousse à agir dans ce sens, comme l'a montré la sociologue américaine Kirsten Monroe. Ils se conçoivent comme des parties prenantes d'une même humanité et ne posent pas de frontière claire entre eux-mêmes et ceux qu'ils considèrent comme leurs « frères humains ».

Cette notion d'humanité partagée, au « cœur de l'altruisme » selon Monroe, permettrait d'expliquer pourquoi des personnes se mobilisent pour d'autres, même sans aucun bénéfice en retour. Or ce sont les mêmes arguments qui sont avancés par les membres des organismes caritatifs et militants interrogés dans l'étude du FNS menée par Florence Passy et Gian-Andrea Monsch.

« Nous sommes tous les mêmes », « nous sommes avant tout des êtres humains », affirment ces volontaires. « Nous avons tous la même quête dans la vie: vivre dignement. » C'est bien parce qu'il y a cette identification avec les personnes pour lesquelles ils se mobilisent, « qui passe par le prisme de l'humain », qu'ils peuvent rejoindre un engagement politique en faveur d'autrui, résument Passy et Monsch.

A lire

« Pourquoi s’engager pour les autres ? Etude comparée de l’altruisme politique et de l’engagement protestataire » Rapport final FNS, Florence Passy, janvier 2012

Ordinary heroes, Samuel P. Oliner, 5 novembre 2001