Jürgen Moltmann: l'espérance et la réalité de la crucifixion

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Jürgen Moltmann: l'espérance et la réalité de la crucifixion

Nicolas Friedli
6 juin 2012
Après Tillich, Barth et Bonhoeffer, c'est au tour du théologien allemand Jürgen Moltmann. Il fait partie des douze figures de la théologie et de la philosophie religieuse du XXe siècle qu'Henry Mottu, professeur honoraire de la Faculté autonome de théologie protestante de Genève, a choisi de retenir.




Jürgen Moltmann, né à Hambourg en 1926, est un des théologiens marquants de l’après-guerre. Constatant les horreurs de la Seconde guerre mondiale, emprisonné, il choisit d’étudier la théologie dès sa libération en 1948. Après quelques années de pastorat, il devient professeur de théologie systématique en 1958. Espérance et avenir

En 1964 paraît sa Théologie de l’espérance. Inspiré par le Principe espérance du philosophe marxiste Ernst Bloch (1885-1977) et par un “oubli” de la perspective eschatologique (ndlr : discours sur la fin des temps) par Karl Barth (1886-1968), Moltmann produit du neuf. L’histoire n’est pas encore accomplie, Dieu veut faire du nouveau sur la terre et nos actions doivent anticiper quelque chose de ce Royaume qui vient.

Le théologien allemand procède à un renversement original: penser théologiquement, c’est penser à partir de la Fin. Ce n’est que par la résurrection de Jésus que sa mort comme un être humain peut être comprise; ce n’est que la Fin de l’histoire de la Passion qui lui donne sa signification théologique. Dieu vient à la rencontre des hommes comme un Possible de l’histoire.

Happée par l’espérance, la foi devient impatiente, en transformation. Chez Moltmann, l’avenir n’est pas un scénario, une chronologie (le futur), mais une brèche ouverte vers quelque chose à-venir. La résurrection du Christ par Dieu est une anticipation d’un monde nouveau qui augure et inaugure.

Ainsi, l’Église doit devenir porteuse de “la responsabilité de l’espérance”. Et l’existence des chrétiens prend sens en ce qu’ils doivent humaniser le monde. Même s’ils se sentent petits...

Ainsi, l’Église doit devenir porteuse de “la responsabilité de l’espérance”. Et l’existence des chrétiens prend sens en ce qu’ils doivent humaniser le monde. Même s’ils se sentent petits, ils sont des envoyés de Dieu.

La fin de l’espérance? Le Dieu crucifié

Huit ans plus tard, Moltmann publie Le Dieu crucifié. Le théologien Wolf-Dieter Marsch considère alors que sa théologie revient pas à pas de “la musique trop bruyante de l’espérance” à “une eschatologie de la croix plus assourdie”. Moltmann considère au contraire qu'il n'a pas reculé, mais qu'il cherche une refondation de l'espérance dans le réalisme de la crucifixion.

Pâques n’annule pas Vendredi-Saint. Le Christ, vrai homme, représente l’humain dans la réalité de son abandon; vrai Dieu, il représente Dieu dans la réalité de son amour pour tous les abandonnés de l’histoire.

Mais surtout, c’est une révolution dans l’idée même de Dieu qui est opérée. À la suite de la Shoah, postuler un Dieu très bon et tout-puissant n’est plus défendable -- il serait “une froide puissance céleste qui marche sur des cadavres”. Il faut donc dépasser la simple alternative: théisme ou athéisme.

Le dépassement du théisme, pour Moltmann, c’est le surgissement d’un “procès théologique entre Dieu et Dieu”, parce que se pose le problème du moment de l’abandon du Fils par son Père, sur la croix. Selon Mottu: "Seule une théologie trinitaire est capable de penser réellement le mystère d'un Dieu qui laisse mourir son Fils et pourtant communie avec lui: ce maillon manquant est la douleur du Père."

Alors que le “monothéisme politico-religieux a toujours été utilisé [...] pour légitimer la souveraineté”, la doctrine de la trinité doit se développer comme une doctrine théologique de la liberté, renvoyant à une communauté humaine sans domination autoritaire ni contrainte servile.

Idéalisme et libération

La théologie de Moltmann est tout entière marquée par les espoirs de son époque. Héritière du marxisme utopique de Bloch (qui s’oppose en cela au positivisme de Engels), elle risque d’être qualifiée d’idéaliste. Il ne manquera pas d’être qualifié de marxiste, ce à quoi il répondra que l’espérance de Bloch est, elle, un sécularisation de l’espérance chrétienne.

Pour les théologiens de la libération, inspirés justement de marxisme et d’espérance, la pensée du théologie allemand, peut apparaître comme un exercice de haute voltige intellectuelle dont il est difficile de savoir sur quelle pratique il pourrait déboucher. Plus qu’un débat sur sa “praticabilité”, on retiendra plutôt que Jürgen Moltmann a su remettre eschatologie et espérance au centre de sa théologie et de la théologie.

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