La dureté de la migration

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La dureté de la migration

Diane Barraud
4 juillet 2012
Sur le terrain, les intervenants en première ligne sont pris entre le feu du durcissement de la loi sur l'asile et la réalité humaine. Les Roms, pas touchés par la loi sur l'asile, puisqu'ils sont des Européens utilisant simplement les possibilités ouvertes par Schengen, sollicitent aussi l'attention des veilleurs. La pasteure vaudoise Diane Barraud est l'une d'entre eux: elle nous fait part de son indignation.


, pasteure EERV, médiatrice Eglise-Migration

A Lausanne, un mercredi de fin mai, un homme vient à Point d’Appui* avec un air inquiet. « Diane, tu ne pourrais pas venir, je crois qu’ils veulent détruire l’abri où nous sommes à Vidy. » Nous, ce sont cinq familles Rom de Roumanie et une famille espagnole réfugiées qui dans une ancienne serre, qui dans une caravane, sur une zone propriété de la Ville et promise à destruction dans une année. Suite à un article de presse, la démolition devient une urgence. Pour les hommes, les femmes et les enfants qui étaient là, avec au moins un toit sur la tête, pas d’alternative.

Ils ne sont pas les seuls. A Lausanne, des dizaines de familles, venues de l’Europe en crise à la recherche d’un travail, dorment dans la rue ou dans des voitures, réveillées et chassées au milieu de la nuit par la police pour cause de camping illégal !

Il y a urgence humanitaire. Il y a un accueil à penser, pour éviter que ces familles très précaires ne tombent encore plus bas, pour refaire les maillons de la chaîne qui leur permette de rester ou redevenir arrimés à une vie et une socialisation dignes. Mais le seul discours officiel pour l’heure, c’est « on ne veut pas de campements à Lausanne. On fait déjà tout ce qu’on peut en matière d’hébergement d’urgence ». C’est peut-être vrai en hiver, mais de mars à octobre, il n’est pas répondu à la moitié des besoins en la matière, et la dimension familiale n’est pas prise en compte.

Solutions provisoires bricolées

Les quelques solutions provisoires bricolées dans nos divers lieux d’Eglise ne suffisent pas.
Cette nouvelle migration nous dévoile crûment la pauvreté européenne d’aujourd’hui. Pas grand monde ne semble vouloir en entendre parler ni chercher des moyens d’y faire face. Pourtant, ne devons-nous pas en prendre notre part ?

Toujours sur le front des migrations, les dernières décisions du National en matière de droit d'asile font aussi frémir les gens de terrain. Aide d'urgence pour tout le monde, l'objection de conscience qui n'est plus un motif d'asile, regroupement familial limité, plus de demandes dans les ambassades, liberté de mouvement limitée... On se souvient que le Conseil National s'est « lâché » en votant les 13 et 14 juin toutes ces mesures restrictives et limitatives du droit d'asile, qui causeront encore un peu plus de détresse et n'accéléreront sans doute pas les procédures, malgré l'objectif officiel affiché.

De quoi donner au Dimanche des réfugiés qui suivait le 17 juin dernier des couleurs de veillée funéraire, et à nos célébrations celles de rassemblements où douloureusement l'on cherche des forces pour continuer d'accompagner et de penser accueil et co-humanité avec les requérants d'asile, malgré tout... Que faire maintenant ?

Ré-inventer l’hospitalité

Pour le Dimanche des Réfugiés, les Eglises suisses proposaient de reprendre cette belle phrase de la lettre aux Hébreux: « N'oubliez pas l'hospitalité, car, grâce à elle, certains, sans le savoir, on accueilli des anges. »

Dans «One World», une philosophe et deux militants du droit d'asile romands en font un thème central pour reconstruire la solidarité. La CIMADE, organisme œcuménique français qui accompagne les migrants depuis plus de cinquante ans, a récemment publié une brochure intitulée «Inventer une politique d'hospitalité. 40 propositions de la CIMADE».

La lettre aux Hébreux voit une promesse dans l'hospitalité. Quiconque s'engage dans l'accueil et l'accompagnement des migrants la vérifie: par les rencontres que nous vivons,
par les vraies fraternités que nous tissons entre toutes nos origines, tous nos itinéraires, toutes nos histoires, nous créons des espaces où tout homme, toute femme est là, dans sa pleine dignité et sa pleine responsabilité. N'expérimentons-nous pas, chaque jour, que c'est par là que passent la paix et le sentiment de sécurité, bien plus que par de nouveaux outils de rejet ?

L'hospitalité pour Kant, c'est: le droit pour l'étranger, à son arrivée sur le territoire d'un autre, de ne pas être traité par lui en ennemi (...) en vertu du droit de la commune possession de la surface de la terre sur laquelle, puisqu'elle est sphérique, [les hommes] ne peuvent se disperser à l'infini mais doivent finalement se supporter les uns les autres.

La CIMADE, elle, reprend une phrase du philosophe Emmanuel Kant qui pose l'hospitalité comme « le droit pour l'étranger, à son arrivée sur le territoire d'un autre, de ne pas être traité par lui en ennemi (...) en vertu du droit de la commune possession de la surface de la terre sur laquelle, puisqu'elle est sphérique, [les hommes] ne peuvent se disperser à l'infini mais doivent finalement se supporter les uns les autres ».

Droit et promesse, l'hospitalité va complètement à l'inverse du mouvement répétitif des évolutions de la loi sur l'asile et de la politique migratoire, en Suisse comme en Europe. Dans la dernière session du Conseil National, n'avons-nous pas assisté à un débat certes démocratique, mais dont l'impact sur le terrain relève de la brutalité appuyée sur des peurs exacerbées ?

Nous avons constaté que l'argumentation raisonnable – y compris celle d'une conseillère fédérale, et de grandes œuvres d'entraide – ne suffisait pas à cadrer de tels empiètements sur les droits des migrants. C'est extrêmement inquiétant.

C'est pour moi le signe que le temps est à l'invention d'une alternative – celle d'une politique d'hospitalité. A son enracinement dans nos consciences, jusqu'à trouver comment la proposer. Défi de taille. C’est là qu’un autre texte du Dimanche des Réfugiés vient à la rescousse: la parabole de la graine de moutarde, si petite, mais qui pourtant finit par donner naissance au grand arbre de l’hospitalité. Si petite comme nous sommes si minoritaires à rêver une politique migratoire humaniste. Même si nous nous sentons étouffés sous des couches compactes de terre aride, la graine vit sa croissance. Ne désespérons pas.

BIO EXPRESS

Diane Barraud:

Je suis pasteure de l'EERV dans le poste de médiatrice Eglises-Migration. Il consiste en un accompagnement des migrants en difficulté dans la région lausannoise, un travail de médiation avec les administrations et autorités et l'animation du lieu d'accueil *Point d'Appui - Espace multiculturel des Eglises réformée et catholique du Canton de Vaud. J'occupe ce poste depuis juillet 2011, après trois ans passés à la Mission populaire évangélique de France à Paris.

J'ai découvert récemment que je dois mon existence, entre autres, à un fonctionnaire de l'ODM non dépourvu d'humour, qui en 1968 a bien voulu accorder l'asile politique à mon grand-père tchèque, totalement à l'encontre des critères en vigueur pour les réfugiés de ce temps-là, mais désarmé par sa franchise.

Je suis née le 10 mai 1976 à Yverdon et vis actuellement à Lausanne. J'ai passé mon enfance à la campagne. Ecole dans le Gros-de-Vaud, gymnase à Yverdon. J'ai pris une année sabbatique comme guide à Rome avant de rejoindre la Faculté de théologie de l'UNIL et d'étudier une année au Centre Sèvres, l'université jésuite de Paris. J'ai ensuite fait un stage à la Mission populaire à Paris, puis trois ans et demi comme pasteure dans la Paroisse du Jorat avant de retourner à la Mission populaire.

CITATION

"Devant celui qui est ta propre chair, tu ne te déroberas pas" (Esaïe 58, v. 7)

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