Théologie à l'uni: les doyens défendent leurs facs

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Théologie à l'uni: les doyens défendent leurs facs

Martin Wallraff,
24 octobre 2012
Les doyens des facutés de théologie de Suisse prennent la plume. Ils réagissent à l'article publié le 8 octobre dernier par la NZZ. Il dépeignait un avenir académique sombre pour la branche.

doyen de la Facluté de théologie de Bâle*

L’article d’Urs Hafner « Theologie auf Rollensuche » aborde un thème important et actuel (ndlr: une traduction a été publiée par ProtestInfo sous le titre « Quel avenir pour la théologie à l’uni? » le 19 octobre).

En fait, le rôle de la théologie dans la société et à l’université doit être renégocié à chaque génération; il ne découle pas simplement de l’histoire de la science et de l’université – bien qu’on ne doive pas oublier le rôle actif que la théologie a joué dans la formation de l’entreprise scientifique moderne. Mais malheureusement, cet article comporte plusieurs inexactitudes ainsi que des représentations fortement tendancieuses des faits. Elles méritent d’être éclaircies.

Dès le départ, il apparaît que l’auteur comprend (à tort) la théologie comme purement soucieuse de perpétuer la tradition. Que la théologie se préoccupe aussi des phénomènes des cultures religieuses en plus du christianisme au sens de l’Eglise, qu’elle s’intéresse aux questions de la sécularisation et de l’athéisme, qu’elle cultive également une approche critique de la tradition chrétienne et qu’elle travaille en lien étroit avec les sciences voisines, tout cela lui a échappé.

« Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »

Au début de l’article, l’auteur défend l’idéal d’une science « libre », qui ne serait pas soumise à une valeur quelconque. Voilà quelque chose qui, sous cette forme, n’aurait plus guère de chances de réunir un consensus de nos jours. Qui donc voudrait d’une faculté de médecine qui ne serait soumise à aucune valeur? Précisément en raison du développement considérable des techniques médicales modernes, la société a intérêt à savoir – elle a en fait le droit de savoir – quelles sont les valeurs qui sous-tendent la médecine et comment elle les applique dans la pratique. Il est évident que la même chose vaut pour l’économie, la jurisprudence et bien d’autres domaines scientifiques.

L’objectif de la connaissance scientifique n’est certainement pas d’éliminer les valeurs, mais de les fonder, de les refléter et de les situer dans le débat public. La théologie a un rôle essentiel à jouer à cet égard – et cela aussi et précisément dans une situation où ce n’est plus l’unique, la grande Eglise (multitudiniste) qui parle aux gens avec autorité. En revanche, une science qui n’est soumise à aucune valeur est sans valeur. Ou, comme l’a dit François Rabelais: « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme. »

Ni la société ni les communautés de foi ne peuvent avoir intérêt à repousser cette réflexion critique dans les niches écologiques d’institutions privées.

L’affirmation selon laquelle les différentes confessions ont à leur disposition « des facultés spécifiques » n’est pas propre à la Suisse. Dans notre pays, les facultés de théologie se trouvent souvent, de par leur tradition et leur origine, particulièrement proches d’une communauté ecclésiale déterminée. Elles ont besoin de continuer à se référer à une telle « caisse de résonance » pour ne pas agir et accomplir leur travail de recherche dans le vide intégral. Mais en même temps, le rapport aux Eglises tel qu’il s’est développé dans notre espace culturel est « critique », dans meilleur sens du terme. La théologie scientifique apparaît comme un complément et un correctif à la pratique religieuse.

Ni la société ni les communautés de foi ne peuvent avoir intérêt à repousser cette réflexion critique dans les niches écologiques d’institutions privées. L’auteur cite l’argument de l’historien de l’Eglise Markus Ries selon lequel on aurait voulu, au 19e siècle, maintenir le débat théologique dans la sphère publique pour protéger les esprits de l’obscurantisme et de la superstition. Au 21e siècle, les dangers du fondamentalisme et de l’opposition à l’ordre social existant ne sont pas moins grands.

En outre, il n’est tout simplement pas vrai que la pluralisation du paysage religieux n’a été perçue qu’à l’extérieur des facultés de théologie, et non à l’intérieur. La réflexion sur le pluralisme religieux a été menée essentiellement dans ces facultés, et les conséquences qui en résultent pour leurs structures sont partout perceptibles. Les études juives et la science de la religion juive font partie, dans bien des cas, du programme de base; les débats sur la théologie islamique en sont encore à leurs débuts, mais ils sont menés de manière active, et cela aussi dans le cadre des facultés de théologie.

Le piano, le musicologue et les sciences des religions

La Suisse se distingue essentiellement de ses trois plus grands pays voisins dans la mesure où elle ne suit ni la voie des facultés fortement liées à une confession (Allemagne), ni celle du « laïcisme » français, ni celle de l’organisation en hautes écoles ecclésiastiques (pontificales) choisie par l’Italie. La situation spécifique de la Suisse offre à la théologie des chances particulières de poursuivre sa quête d’un rôle moderne dans l’université et la société.

La description du rapport entre sciences des religions et théologie est aussi, pour le moins, propre à induire en erreur. Aucun spécialiste des sciences des religions ne se risquerait aujourd’hui à qualifier son domaine de science (purement) empirique. De même, l’opposition entre « science culturelle » et perspective « liée à la foi » ne conduit pas loin. On fait du tort à la science des religions en donnant d’elle une définition totalement négative, c’est-à-dire en établissant la plus grande distance possible par rapport au phénomène religieux primaire.

De même que celui qui n’a jamais de sa vie touché le clavier d’un piano ne peut être un bon musicologue, de même celui qui ne fonde sa science que sur la distance par rapport à son objet ne peut être un bon spécialiste des sciences des religions. Le rapport entre la théologie et les sciences des religions mérite une présentation plus différenciée que celle donnée dans cet article.

"Pas le dernier mot"

*Martin Wallraff est doyen de la Faculté de théologie de l’Université de Bâle. Les doyens des facultés de théologie des universités de Berne, Fribourg, Genève, Lausanne, Lucerne et Zurich sont cosignataires de sa prise de position (à lire en allemand sur le site de la NZZ, dans la version publiée le 18 octobre).
« Ce ne sera certainement pas notre dernier mot à ce sujet, a expliqué Andreas Dettwiler à ProtestInfo. En fait, poursuit le doyen de la Faculté de théologie de l'Université de Genève, la conférence des doyennes et des doyens de toutes les facultés de théologie de Suisse (nous nous rencontrons deux fois par année – en tout cas jusqu’à présent) a décidé de suivre de près l’évolution de la discussion. »