Contourner l'iceberg

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Contourner l'iceberg

7 décembre 2012
Gottfried Locher, le président de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), lançait un pavé dans la mare de l'œcuménisme début novembre. Il plaide pour un changement de perspective et propose de se détourner du dialogue qui s’épuise avec le Vatican pour s’orienter vers plus d’unité intra-protestante. Interview.
(Photo: Alexander Egger)

Par Felix Reich et Samuel Geiser, reformiert.info

Monsieur Locher, vous sentez-vous frustré?

Toujours, à certains égards. Pourtant, je ne le suis pas en ce qui concerne l’œcuménisme: le mouvement trouve toujours de nouvelles voies. C’est ce que j’ai dit dans mon allocution devant les délégués de la Fédération des Eglises protestantes de Suisse (FEPS), et j’ai parlé en termes clairs: l’œcuménisme officiel se trouve en crise. Nous devrions faire ce qui est possible. Et ce qui est possible aujourd’hui, c’est d’établir plus d’unité entre protestants dans la diversité, et de ne pas nous borner à attendre cela des autres.

Pour les évêques catholiques, votre éloignement de l’œcuménisme classique est commode: ils peuvent renvoyer leurs interlocuteurs aux réformés qui interrompent un dialogue qui ne les a jamais intéressés.

Les faits parlent un autre langage: avec le cardinal Koch, j’ai amorcé un nouveau dialogue sur la Cène; l’évêque catholique Charles Morerod, chargé des questions œcuméniques, vient de m’inviter à Fribourg; je rencontre la Conférence des évêques. J’entretiens depuis de longues années des liens d’amitié avec les moines d’Einsiedeln. Le fait d’énoncer clairement les divergences peut aussi créer la confiance.

Néanmoins, vous demandez un changement de perspective dans l’œcuménisme. Cela sonne comme un repli sur soi.

Seulement pour la prochaine étape. Si nous voulons avancer, nous devons chercher un nouveau chemin. Car il y a un roc devant nous: l’opposition entre les conceptions catholique et protestante de l’Eglise. Certes, cela paraît théorique, mais dans la pratique c’est un obstacle à l’unité. Et un obstacle de taille. C’est très bien de travailler à le surmonter théologiquement; j’essaie aussi, pour ma part, d’apporter ma contribution à cet effort.

C’est bien aussi de cultiver, à la base, tout ce que nous avons en commun. Mais cela ne suffit pas, nous pouvons faire plus. L’unité a de multiples facettes, et il y a aussi du travail à faire chez les réformés, pas seulement chez les catholiques. Donc il nous faut agir pour l’œcuménisme chez nous aussi. Une plus grande unité réformée renforcera non seulement notre propre crédibilité, mais également l’œcuménisme catholique-protestant. Une Eglise réformée au profil solide obtiendra plus de résultats – aussi à Rome.

Pourtant, les gens s’intéressent plus à l’œcuménisme entre catholiques et réformés qu’au dialogue entre Eglises protestantes. Fréquemment, les frontières confessionnelles traversent les couples et les familles.

Les gens s’intéressent-ils vraiment à l’œcuménisme officiel qui semble reculer? Pour moi, l’œcuménisme est beaucoup trop important pour que j’accepte de le laisser végéter dans le domaine de la politique extérieure. Le fossé entre les confessions pose à l’Eglise un problème de crédibilité. L’œcuménisme est indispensable. Avant tout là où il est vécu: à la base.

La notion d’œcuménisme protestant évoque l’idée d’une réforme des structures. Comment voulez-vous éveiller ainsi l’enthousiasme des membres des Eglises nationales en Suisse?

J’aimerais donner aux gens le goût d’avancer vers le nouveau. Nous avons un trésor protestant commun. Nous en connaissons déjà certaines parties, d’autres sont nouvelles. Tous, nous avons intérêt à regarder au-delà de la clôture de notre jardin. Notre Eglise est plus qu’une communauté paroissiale, plus qu’un canton.

L’idée de plus d’unité implique-t-elle aussi un déplacement des compétences en faveur de la Fédération des Eglises?

La devise est: coordonner, et non centraliser. Quoi, quand, où? C’est aux Eglises d’en décider. Les compétences doivent être placées là où elles sont utiles. Dans tous les cas, nous avons besoin de plus d’échanges entre la base et la direction. On pourrait imaginer un synode national qui se réunirait une fois par an durant plusieurs jours. Une plate-forme pour tous ceux et celles qui tiennent à notre Eglise: délégués, mais aussi pasteurs, diacres, conseillers synodaux et pourquoi pas les musiciens d’Eglise.

Un «Kirchentag» suisse?

Qui sait? Un synode national serait un bon début. On pourrait vivre ainsi, tout à coup, quelque chose qui ressemblerait à une Eglise réformée de toute la Suisse. Chaque année, une question de société pourrait être inscrite au centre des réflexions. Le travail commencerait longtemps à l’avance dans les paroisses. La Fédération des Eglises pourrait mettre du matériel à disposition. Ainsi, la base de l’Eglise participerait enfin concrètement à la discussion, et la Fédération des Eglises serait renforcée de bas en haut. Nous aurions une communauté ecclésiale qui irait de Genève à la Thurgovie, de Bâle au Tessin. Ce serait un exemple d’authentique unité protestante dans la diversité.

/p