Noël!

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Noël!

François Vouga*
19 décembre 2012
es premiers chrétiens n’auraient sans doute jamais pensé que les Eglises se mettraient une fois à fêter la naissance de Jésus. Ils n’auraient pas pu imaginer non plus que le jour de Noël devienne progressivement, au cours des siècles, la plus populaire des fêtes de la chrétienté, la fête chrétienne par excellence, plus importante encore que Vendredi-Saint et Pâques; ni songer un instant que peintres et musiciens trouveraient dans la nativité une source infinie d’inspiration.
(Photo: Cathédrale de Lausanne)

En effet, on ne s’est guère intéressé, pendant les trois premiers siècles de l’histoire du christianisme, à célébrer les anniversaires, ni celui de Jésus ni celui des figures fondatrices des églises. Quand Pierre est-il né? Et Paul? Personne ne s’en est soucié et la mémoire chrétienne n’en a gardé aucune trace.

En va-t-il autrement de Jésus?

La date de la mort de Jésus nous est, elle, approximativement connue, grâce aux récits détaillés que les évangiles nous fournissent de la Passion. Mais on ne sait en fait rien de sa naissance, si ce n’est les noms de sa mère, Marie, et de son époux Joseph. Les deux évangiles de Marc et de Jean n’en pipent mot, mais présupposent tant l’un que l’autre que Jésus vient de Nazareth, où il a son origine. Quant à Matthieu et Luc, ils commencent certes tous deux leur livre par des récits de l’Annonciation et de l’enfance. Leur intérêt commun ne porte cependant ni sur l’histoire ni sur les circonstances de la naissance de Jésus, mais sur la signification de l’événement de sa venue.

Les reconstitutions qu’ils proposent ne concordent d’ailleurs guère: Matthieu fait suivre l’annonce à Joseph du récit des mages et d’une suite d’épisodes par lesquels Joseph et sa nouvelle famille résument l’histoire d’Israël, de la fuite en Egypte à l’Exode et au retour d’Exil. Quant à Luc, il met en parallèle l’annonce de deux naissances, celle de Jean Baptiste et celle de Jésus, à leurs mères respectives, Elisabeth et Marie, avant de situer son récit dramatique dans la compagnie des bergers, les héritiers du roi David, figure du Messie, et de poursuivre par l’histoire de la circoncision du nouveau-né.

Les deux n’évoquent que très rapidement la naissance elle-même, qu’ils situent à Bethléem. La localisation en Judée, dans la ville de David justement, ne ressortit visiblement pas à un souci d’exactitude historique. Les deux le font en effet explicitement pour rendre compte du sens de l’événement et annoncer l’identité de l’enfant comme celle qui se révélera le jour de Pâques: ce Jésus qui naît à Noël est celui que les évangiles proclament dès les premières lignes comme le Christ ressuscité.

On le voit donc, les récits de Noël, pas plus que le Prologue de l’évangile de Jean, n’entendent raconter simplement la naissance de l’enfant Jésus. Nul, deux génération après sa mort, lorsque Matthieu et Luc composent leurs évangiles, ne s’en souvenait ni ne s’y intéressait. Ils s’interrogent bien plutôt sur l’origine du Crucifié qui, le troisième jour, est apparu comme le Seigneur vivant. Si Dieu, le matin de Pâques, le révèle comme son Fils, qui était-il et d’où vient-il?

Fêter Noël, annoncer Pâques

Reste la question historique, qui conserve sa légitimité: où et quand Jésus est-il donc né?
Selon toute probabilité, la naissance de Jésus de Nazareth a eu lieu à Nazareth. La date que nous en connaissons est celle du 25 décembre. Elle a été fixée très tard, au milieu du quatrième siècle. Elle l’a été sans aucun rapport direct avec le jour, inconnu, auquel Jésus a pu venir au monde. Mais son choix ne doit rien non plus au hasard. Le 25 décembre correspond en effet aux premiers jours suivant le solstice d’hiver, au moment où le soleil reprend ses droits et où la lumière recommence à l’emporter sur l’obscurité.

L’instrumentalisation de Noël, qu’elle soit religieuse ou commerciale, n’empêche ni de retrouver ni de rappeler le sens d’un événement que les évangiles confessent comme l’incarnation de Dieu dans la singularité d’une vie humaine.

La date avait tout naturellement été choisie par les Romains comme celle de la naissance du dieu soleil, nommé «Sol invictus», Soleil invaincu, qui était devenu à la fin de l’Empire une figure unificatrice des religions traditionnelles. Les chrétiens, longtemps restés réticents à fêter les anniversaires, coutume précisément considérée jusque là par les Pères de l’Eglise comme païenne, ont alors sur-imprimé la naissance de leur Sauveur à celle du dieu romain. Le Christ, soleil de la justice, pouvait ainsi en prendre le relais dans la piété populaire.

L’instrumentalisation de Noël, qu’elle soit religieuse ou commerciale, n’empêche ni de retrouver ni de rappeler le sens d’un événement que les évangiles confessent comme l’incarnation de Dieu dans la singularité d’une vie humaine. Le Père céleste qui se révèle dans la personne de Jésus prend distance de tout enfermement de la transcendance dans les vérités générales d’institutions et d’idéologies religieuses: sa présence se manifeste dans la reconnaissance inconditionnelle et universelle de chacune et de chacun**. C’est ce que Luc résume dans l’hymne qu’il met dans la bouche des anges: « Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix pour ses bien-aimés! »***

Autrement dit

**Si Dieu se révèle dans la singularité d'une personne, il ne se laisse identifier ni à une doctrine générale ni à quelque institution religieuse, mais il manifeste sa présence dans un rapport Je-Tu avec chaque être humain. Ce qui implique l'existence de communautés chrétiennes comme lieu de reconnaissance inconditionnelle et réciproque des croyants.

***Traduction du passage dans la TOB. Luc 2, 14

* A lire

Professeur de Nouveau Testament à la Kirchliche Hochschule Bethel à Bielefeld en Allemagne, François Vouga est l'auteur de plusieurs ouvrages, parus notamment chez Labor&Fides. Il avait été interviewé dans un article pour ProtestInfo, à l'occasion de Pentecôte 2010.