Le Québec perd ses clochers

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Le Québec perd ses clochers

24 janvier 2013
Image étonnante en arrivant à Québec en novembre dernier: une immense grue s’apprête à « décapuchonner » le clocher d’une église, prélude à la démolition de l’édifice. Quelques curieux sont attroupés pour suivre cette opération spectaculaire.
(photo©Mireille Racine)

Par Hélène Lazar

Certains s’émeuvent vivement car l’église catholique Saint-Joseph, qui devait avoir disparu complètement d’ici la mi-janvier, était celle des personnages hauts en couleur immortalisés, dès 1944, par un roman de Roger Lemelin, «Au pied de la pente douce », dont l’histoire se déroule dans ce quartier populaire de Saint-Sauveur, dans la basse-ville de Québec. C’est l’église des « Plouffes », roman du même auteur publié en 1948, qui trouvera une seconde jeunesse grâce au film éponyme de Gilles Carles, en 1981.

Pourtant, parmi ceux qui assistent à la destruction, un homme venu en voisin affirme n’avoir aucun regret: il faut, selon lui, savoir tourner la page et l’église était abandonnée depuis 1998, truffée d’amiante de surcroît.

De fait, l’église Saint-Sauveur ne fait pas partie des édifices considérés comme ayant « une haute valeur patrimoniale ». Le promoteur, qui l’a achetée et aurait investi 75 000 dollars canadiens (70 000 francs suisses) dans la recherche de solutions pour préserver le bâtiment, a finalement décidé de la démolir pour bâtir un immeuble de 80 appartements.

Signes de la déchristianisation

C’est la troisième église à disparaître en trois ans dans le quartier. Depuis la fin des années 90, ce sont 370 églises qui ont été détruites au Québec. Sur les 2537 églises construites entre 1671 et 1981, la plupart sont désertes et mal entretenues, faute de ressources financières et humaines. Elles sont alors vendues, converties parfois en bibliothèques, en gymnase, voire en spa, mais aussi démolies (20%).

C’est le signe de la déchristianisation galopante d’une province dont l’histoire et l’identité se sont forgées dans le giron du catholicisme. Les communautés religieuses ne peuvent plus entretenir les édifices. Ceux qui rachètent ces bâtiments, des propriétaires privés ou le plus souvent des municipalités sont à leur tour dépassés par les frais d’entretien ou de restauration et préfèrent soit les démolir soit les reconvertir. Le phénomène existe aussi en Italie, comme le montre la recherche commencée par le photographe Andrea Di Martino, intitulée « La messe est finie » et qui devrait déboucher prochainement sur une publication.

Certes il y a des protestations ici ou là. A Québec, la démolition de la façade de l’église Saint-Vincent de Paul, en 2010, a entraîné une vive contestation: il s’agissait de préserver un symbole de la vieille ville car cette façade datait de 1898. Mais finalement les considérations économiques l’ont emporté: un hôtel sera construit en lieu et place, et une œuvre d’art réalisée à partir de quelques pierres sauvegardées, sorte de devoir de mémoire « a minima ».

Le patrimoine religieux bâti […] exprime avec force le grand rêve de nos ancêtres de créer en Amérique une société exemplaire, meilleure que tout ce qu’ils avaient connu en Europe.

On réagit aussi du côté institutionnel: un document officiel de la Commission de la Capitale nationale, en 2005, affirme vouloir sauvegarder « le patrimoine religieux bâti […] exprime avec force le grand rêve de nos ancêtres de créer en Amérique une société exemplaire, meilleure que tout ce qu’ils avaient connu en Europe ». Le conseil du patrimoine religieux du Québec (CPRQ) a dressé un état des lieux et s’emploie à proposer des pistes afin de « réutiliser les églises pour les conserver ».

Si on ne peut pas tout conserver, on peut essayer de sauver les édifices jugés les plus intéressants, en les restaurant ou en leur trouvant un nouvel usage qui préserverait leur valeur patrimoniale. La restauration de l’église de Sainte-Foy dans la banlieue de Québec en est un bon exemple: on a gardé la seule structure métallique et l’église est maintenant « à ciel ouvert ». Un film de Bruno Boulianne intitulé « Ne touchez pas à mon église », sorti en 2011, raconte l’histoire des habitants de St-Camille, un petit village de l’Estrie, qui ont entrepris de transformer leur église en espace communautaire ouvert à toutes les générations.

Il reste que l’on est un peu abasourdi quand on voit vanter dans une vidéo de la région de Lévis (rive sud de la ville de Québec) les charmes des colonnes et des plafonds en stuc de la dizaine d’appartements luxueux aménagés dans une église de la ville; le plus cher de ces « condos », comme on dit ici, offrira une vue unique sur Québec depuis la rosace de la façade…

Vieillissement de la population, crise des vocations religieuses, laïcisation de la société québécoise, concurrence des pratiques religieuses amenées par les nouveaux immigrants: il semble probable que, peu à peu, les villages québécois se voient « décoiffés » de leur clocher. Un grand nombre de citoyens, sans doute la majorité, s’en désintéresse, et n’éprouve guère de nostalgie pour cette période où l’Eglise catholique était toute puissante et commandait chaque moment de leur vie.

Les protestants connaissent les mêmes vicissitudes

Les bâtiments des églises protestantes historiques* du Québec ne sont pas épargnés. Les églises anglicanes, presbytériennes ou de l’Eglise unie du Canada sont beaucoup moins nombreuses que les églises catholiques (83% des québécois s’identifiaient en 2001 comme « catholiques romains », tandis que le protestantisme, environ 3% de la population, concerne en majorité les anglophones). Mais les lieux de culte sont aussi désertés. Quand il devient impossible de faire face aux frais d’entretien, de chauffage ou de désamiantage, et que la valeur patrimoniale du bâtiment n’est pas avérée, ils sont eux aussi reconvertis, en bibliothèque ou en salle de spectacle, comme dans la ville de Québec, ou en restaurant, comme à Lacolle, à la frontière américaine.

Comme le souligne Stéphane Gaudet, porte-parole de l’Eglise unie du Canada, « ces reconversions se font le plus souvent au service de la communauté (maison de quartier, lieu de rencontre,...) et ce sont seulement 20% d'entre elles qui débouchent sur des opérations immobilières. Bref, conclut-il, il s’agit d’une évolution qui se fait relativement en douceur, dans la société la plus sécularisée d’Amérique du nord, même si catholiques et protestants, qu’ils soient pratiquants ou non, ne voient pas disparaître l’église de leur enfance sans un certain serrement de cœur ».

(*) Non compris les mouvements évangéliques

LIEN:

- Ne touchez pas à mon église