Chicago: Voir enfin le visage de ces milliers de renvoyés

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Chicago: Voir enfin le visage de ces milliers de renvoyés

Muriel Schmid
6 février 2013
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Un groupe de bénévoles, sous la houlette des Sisters of Mercy, est là quand des émigrés sud américains sont raccompagnés à l'aéroport de Chicago. Trois personnes ont l’autorisation de monter dans les minibus en partance et de prier brièvement avec ces hommes et ces femmes, enchaînés et menottés. Ce vendredi, je faisais partie de ce groupe de trois !

, théologienne

Il est 7h du matin et il fait extrêmement froid, environ -20C. Mes collègues des Équipes Chrétiennes pour la Paix (Christian Peacemaker Teams) et moi-même rejoignons une vigile devant le Broadview Detention Center à Chicago. Chaque vendredi en effet un groupe d’une quarantaine de personnes s’y retrouve pour y partager un bref service de prière ; le premier vendredi du mois, le service est interreligieux.

Broadview Detention Center sert de point de rassemblement pour les immigrants sans documents qui ont été arrêtés dans l’état de l’Illinois, mais également dans quelques états avoisinants (le Kentucky, le Wisconsin et l’Indiana). Le bâtiment est petit, bien caché dans une zone industrielle de Chicago; à l’intérieur, environ 1000 femmes et hommes y sont détenus avant d’être renvoyés dans leur pays d’origine. Vendredi, au petit matin, c’est le jour où les minibus partent pour l’aéroport de Chicago.

Long combat

L’ordre des Sisters of Mercy s’est battu durant plusieurs années pour créer un service d’aumônerie pour les détenus du Centre de Broadview. Depuis six ans maintenant, elles organisent chaque semaine cette veille, en collaboration avec les représentants de diverses communautés religieuses de Chicago.

Mais c’est seulement après un combat de plus de deux ans qu’elles obtinrent le droit d’entrer dans la prison et d’offrir un accompagnement pastoral personnel aux détenus. Cet accompagnement inclut aujourd’hui le droit de prier avec les personnes renvoyées au moment même de leur départ pour l’aéroport. Suite à cette action, trois personnes ont donc l’autorisation de monter dans les minibus en partance et de prier brièvement avec ces hommes et ces femmes, enchaînés et menottés. Ce vendredi, je faisais partie de ce groupe de trois !

L’administration Obama a augmenté le nombre de renvoi annuel d’immigrants dépourvus de papiers; aujourd’hui, la barre des 400 000 personnes par an a été dépassée. En août dernier, le Washington Post signalait qu’Obama avait déporté 1,4 million d’immigrants depuis le début de son mandat en janvier 2009, une moyenne une fois et demi plus élevée que sous l’administration Bush. En matière d’immigration, le renvoi systématique et généralisé semble représenter la panacée pour les démocrates comme pour les républicains.

Nous entrons dans la prison et nous sommes conduits dans un long garage où les minibus, un à un vont être chargés. Lors du chargement de chaque minibus, nous sommes enfermés dans une minuscule cuisine adjacente au garage; nous entendons le bruit des chaînes de ceux et celles qui passent de l’autre côté de la porte.

Nous entrons dans la prison et nous sommes conduits dans un long garage où les minibus, un à un vont être chargés. Lors du chargement de chaque minibus, nous sommes enfermés dans une minuscule cuisine adjacente au garage; nous entendons le bruit des chaînes de ceux et celles qui passent de l’autre côté de la porte. Une fois tout le monde assis, nous sommes escortés à la porte latérale de chacun des minibus, l’un après l’autre, pour un bref moment de prière et d’échange.

Ce matin, il y a six minibus pour un total d’environ 100 personnes, exceptionnellement tous des hommes; ils viennent du Mexique, de l’Honduras, du Guatemala… ils repartent les mains vides, des chaussures sans lacets aux pieds et leur maigre possession sur eux. Le rêve américain se termine là !

Nous parlons en espagnol, nous offrons quelques mots de réconfort et leur promettons qu’ici, aux États-Unis, certains se battent avec acharnement pour changer les lois sur l’immigration. Ils nous parlent de ceux et celles qu’ils laissent derrière eux, femme et enfants très souvent. Les gardes nous demandent de ne pas traîner, on ne peut être là, à leur côté, que quelques minutes. Très vite, il faut dire « Vaya … con Dios » si cela se peut !Je garde à l’esprit leurs visages, calmes, silencieux, interrogateurs, et je me demande où ils ont bien pu trouver refuge à l’heure qu’il est.

Inutile d’entrer dans les détails de la politique américaine qui provoque, chaque jour, le déplacement et l’appauvrissement d’innombrables personnes dans la plupart des pays d’Amérique latine. Mentionnons par contre le Sanctuary Movement: initié par les églises, il débuta aux États-Unis dans les années 1980 afin d’accueillir le flot de réfugiés engendré par la politique américaine menée en Amérique centrale; aujourd’hui, il a refait surface, à Chicago tout d’abord, afin d’offrir un refuge aux immigrants sur le point d’être renvoyés.

Les quelque 10 000 renvois annuels qui se pratiquent en Suisse ne sont, proportionnellement, pas très loin des chiffres américains. En réponse, le Manifeste écrit et diffusé par le comité lausannois contre la détention administrative demande aux « communautés religieuses à prendre position fermement contre la détention administrative et à accueillir des étrangers menacés de mesure de contrainte. » Là où l’État faillit, quelle doit être la politique d’accueil cultivée par les Églises ?

*(Photo extraite du film mexicain Sin Nombre)

Sources et informations: