Antoine Nouis: Invitation à une lecture intrigante

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Antoine Nouis: Invitation à une lecture intrigante

Matthieu Mégevand
7 février 2013
Comment la Bible peut-elle faire écho aux situations qui nous touchent dans la vie de tous les jours ? Comment entrer personnellement en résonance avec les Ecritures ? C’est à ces questions qu’Antoine Nouis, théologien et directeur du journal Réforme, tente de répondre dans son dernier ouvrage, La lecture intrigante, La Bible appliquée à vingt situations de vie (Labor et Fides). Entretien.


Pourquoi ce livre de théologie pratique, La lecture intrigante ?


Il y a en fait une double démarche : la première est que ce livre constitue le fruit d’une thèse en théologie pratique que j’ai effectué après avoir été pasteur pendant plus de vingt ans. Cette thèse a été l’occasion de réfléchir en profondeur sur ma propre pratique, et dans le cas typiquement protestant, sur la question fondamentale des Ecritures. L’idée a donc été de mieux comprendre mon utilisation des Ecritures dans le cadre pastoral.

La deuxième démarche, qui est parallèle, a été de théoriser ma pratique des Ecritures. Je l’ai notamment fait à partir des écrits de Paul Ricœur, qui a beaucoup travaillé sur la dimension de réception du texte et l’herméneutique. Ainsi m’est venue cette notion de lecture intrigante.


«La finalité de la lecture intrigante est de redonner à l’Ecriture son statut de parole, or une parole s’écoute», dites-vous justement à propos de votre démarche.

La question est d’abord celle de l’oralité de la Bible. Lorsque l’on pense sola scriptura, on a plutôt une vision littéraire, scolaire, d’exégèse diachronique du texte. Or, dans la vie, la Parole est d’abord centrée non pas sur comment je l’étudie, mais plutôt sur comment elle me parle et me rejoint. Comment l’écrit devient parole. Le but de la démarche a donc été, dans mon ministère, de redonner à l’écrit biblique ce qui était son fondement, c’est-à-dire sa parole vivante.

Calvin, lorsqu’il évoquait le « témoignage intérieur du Saint Esprit », parlait de l’Esprit qui était à l’œuvre dans l’acte d’écriture des récits bibliques autant que dans l’acte d’écoute et d’interprétation qui s’effectue depuis. L’Esprit peut donc permettre que cette Parole, qui a été rédigée il y a 2000 ans, demeure pertinente aujourd’hui dans les situations de la vie que nous avons tous à croiser.

Quel statut donnez-vous donc aux écrits bibliques ?

Lorsque j’aborde une situation, quelle qu’elle soit, je pars d’un a priori que l’on peut qualifier de spirituel et qui postule qu’il existe nécessairement un récit dans la Bible qui soit capable de rejoindre ou d’accompagner cette situation. Ainsi, mon but en tant que pasteur, ce n’est pas de me poser en tant que sujet supposé savoir, mais de cheminer avec la personne autour d’un texte, d’un récit, et d’ensemble trouver la parole susceptible de nous rejoindre.

Mon bagage pastoral et théologique sert à discerner les contours du texte, puis il me faut inviter la personne à se mettre dans une situation d’écoute, de lecture intrigante, par rapport au texte, subjective, individuelle, pour permettre à la Parole de nous accompagner.

Cette lecture très personnelle ne pourrait-elle pas engendrer des mésinterprétations du texte biblique ?

En effet. Il peut y avoir des lectures délirantes de la Bible, et l’Histoire le prouve. Mais, dans la tradition, il y a deux protections qui peuvent limiter ces lectures délirantes. La première, c’est l’autre: la communauté, la théologie etc. Mon rôle en tant qu’accompagnateur et théologien c’est justement d’être une protection par rapport aux lectures délirantes. La communauté ou le théologien doivent permettre de discerner les contours du texte et d’éviter les contresens.

L’autre protection, qui est un grand principe biblique, c’est qu’il ne peut pas y avoir de passage particulier qui soit contradictoire avec le message central ou global des Ecritures. Par exemple, lorsque les Eglises ont justifié l’Apartheid en se basant sur le récit des fils de Noé et en arguant que Cham devait être soumis à ses frère, cette lecture était possible par rapport au texte précis, elle était en revanche totalement incompatible avec l’ensemble de la révélation biblique, qui interdit le rejet de l’autre.

Avec ces deux garde-fous, on peut ainsi éviter les mésinterprétations.

Cela signifie-t-il que la lecture intrigante de la Bible ne peut pas être utilisée seul ?

Tout dépend. Si l’on possède une bonne culture biblique, en d’autres termes si on a l’habitude de fréquenter les Ecritures, il y a généralement moins de danger. C’est une intelligence des Ecritures que l’on acquiert.
En revanche, quelqu’un qui serait « nouveau dans la foi » peu ou pas familier des textes bibliques, et qui voudrait se lancer dans ce type de lecture intrigante, à celui-ci je lui conseillerais de se faire accompagner.

  • Conférence d’Antoine Nouis autour de son livre La lecture intrigante, jeudi 7 février à 18h30 au Sycomore, café de l’Espace culturel des Terreaux, rue de l’Ale 31, Lausanne.

  • Antoine Nouis donnera une prédication dimanche 10 février à l'Eglise de Saint-Laurent à Lausanne. Petit-déjeuner: 09h00, culte: 10h00, apéritif: 11h30, repas: 12h15.

INFOS

Antoine Nouis a été pasteur pendant plus de vingt de l’Eglise réformée de France. Il est entre autre l’auteur de Un catéchisme protestant (Olivétan, 2011) et de Lettre à mon gendre agnostique pour lui expliquer la foi chrétienne (Labor et Fides, 2010). Il est aujourd’hui directeur du journal Réforme.

La lecture intrigante, La Bible appliquée à vingt situations de vie, Labor et Fides, 2012, 248 p.