Une alliance pour quoi ?

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Une alliance pour quoi ?

Michel Kocher
3 avril 2013
La fièvre médiatique autour de l’élection du nouveau pape est en partie retombée. Il redevient possible de réfléchir au sens des événements, de partager des convictions avec ses amis catholiques et des observations critiques avec des confrères.

Pendant de longs jours, tout cela n’était plus guère possible. Lors des funérailles de Jean-Paul II, un collègue catholique romain m’avait lancé amicalement: «Laissez-nous au moins savourer notre revanche.»

Entre les médias et le catholicisme romain y a-t-il guerre? Disons qu’il y a une rivalité entre instances normatives, productrices d’images, en recherche d’audience à la mesure de leurs projets de représenter, qui le salut qui l’état du monde. A bien y réfléchir, s’il y a guerre des images, ne serait-elle pas d’abord interne au catholicisme, entre deux visions de son ecclésiologie, l’une d’en bas, l’autre d’en haut? Dans le cas des grands événements «papaux», la deuxième prend le dessus, réussissant à imposer une image planétaire et univoque du projet catholique romain... vu de Rome.

Représenter l'universalité du christianisme

L’autre force des événements «papaux» est d’offrir aux médias un spectacle à la mesure de leur ambition de représenter l’universalité du christianisme. Se noue donc dans ces occasions une alliance d'une telle solidité que personne ne songe à la questionner. Certainement pas mes confères, assurés d'une audience à toute épreuve, ils sont émoustillés de pouvoir être associés à un show, dont moins ils prennent de la distance, plus ils en renforcent la symbolique... et donc l'effet médiatique.

A tel point que se mettent en place de vrais dispositifs de propagande. Ne sont invités à commenter ces événements que des cols romains, dont personne n'ose rappeler qu'ils ont promis obéissance et soumission, avant même que le choix du nouveau pape n'ait été fait. Autant dire que le ton du commentaire est donné d’emblée.

Quel est l'objectif? Rassembler le plus grand auditoire possible? Quoi de plus normal. Mais autour de quels universaux? La foi chrétienne?

D'ordinaire une alliance, fût-elle de courte durée, se fait contre un ennemi, ou tout au moins en vue d'un objectif qui rassemble des alliés. Quel est l'objectif? Rassembler le plus grand auditoire possible? Quoi de plus normal. Mais autour de quels universaux? La foi chrétienne? La diversité des hommes et des femmes que le Christ a appelé à le suivre? Le message de l'Evangile? Force est de constater ici que les universaux relèvent, pour une large part, de la fascination pour un Roi Soleil et d'un processus électif mené par de vrais princes, même s’ils ne sont que peu représentatifs du peuple de l'Eglise catholique.

Certes d'autres universaux existent, une ritualité millénaire, l'humanité - toujours bienvenue - du personnage, son origine géographique. Mais la conjonction sur la fonction papale du politique et du religieux, d'un pouvoir absolu et d'une autorité spirituelle, contient trop d'ambiguïté pour ne pas les affaiblir significativement.

Fièvre médiatique

Si ces poussées de fièvre médiatique mettent à mal les règles d’équité de traitement entre confessions, patiemment élaborées au cours de ces dernières décennies dans le service public, cette alliance entre médias et événements "papaux" ne se fait pas contre les protestants. Plusieurs raisons à cela. D'abord les protestants n'ont pas d'antipape à proposer, certains sont même disposés à une forme de "Primus inter pares" à revisiter.

Ensuite ils sont de tels nains en terme de production d'images religieuses et d'événements médiatiques à l'échelle planétaire, qu'ils ne sauraient être un ennemi contre lequel on fait alliance. La guerre des images n'a jamais été leur combat. Ils ne l'ont pas livrée, d'une certaine manière pas perdue non plus! Ce qui ne veut pas dire qu'ils peuvent simplement s'en désintéresser, à moins de se retirer de la société et de la culture, ce qui n'est pas dans leurs gènes non plus.

D’autres formes de propositions d’images produites par des protestants émergent timidement. Le sujet du TJ du 23 mars dernier autour d’une animation originale des pasteurs de St-Laurent Eglise en est un indice.

Eglises au pluriel

Dans une récente série de l'émission "A vue d'esprit" sur Espace 2, le Père René Beaupère, artisan émérite du dialogue œcuménique s'exclamait : "plus jamais je ne pourrai parler de l'Eglise au singulier, en ne pensant qu'à l'Eglise catholique romaine". J'espère qu'il s'est un peu bouché les oreilles ces derniers jours.

Si les protestants ne font pas les frais de cette alliance de circonstance entre médias et "événements papaux", il est certain que la prière pour l'Unité des chrétiens n'en sort guère stimulée ou clarifiée, pas plus que l’universalité de la foi chrétienne. Cela dit, les journaux télévisés n'ont pas vocation à le faire. C'est aux chrétiens ensemble de chercher le sens de leur cheminement commun et d'en proposer des signes visibles et décodables pour nos contemporains.