Fabrice Hadjadj: «Parler de Dieu nous place nécessairement dans une position de clown»

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Fabrice Hadjadj: «Parler de Dieu nous place nécessairement dans une position de clown»

Elise Perrier
23 avril 2013
Fin mars, Fabrice Hadjadj, professeur agrégé de philosophie et écrivain, remportait le Prix
Spiritualité 2013* pour son dernier livre Comment parler de Dieu aujourd’hui? Rencontre avec cet homme atypique et décalé.

, La Vie protestante de Genève

Enfant, il voulait être Ninja. Plus tard, il devient écrivain, philosophe et, depuis 2012, directeur de l’Institut européen d’études anthropologiques Philanthropos, à Fribourg. Mais les désirs de l’enfant et les réalisations de l’adulte ne s’opposent pas. Car c’est en véritable ninja que Fabrice Hadjadj s’exprime et ce, d’autant plus, quand il s’agit de son dernier sujet de prédilection: une parole sur Dieu.

«Vous êtes belle, Monica, puis-je monter prendre un verre chez vous ?»

Ce jeudi à midi, à l’Espace Fusterie, on vient en nombre pour écouter Fabrice Hadjadj parler ...
de la parole. C’est en effet le sujet de son dernier livre, Comment parler de Dieu aujourd’hui ? Anti-manuel d’évangélisation paru en 2012 aux Editions Salvator. Cet ouvrage de 215 pages est la retranscription d’une conférence qu’il a prononcée en 2011, à l’invitation du Cardinal Stanislas Rylko, président du Conseil pontifical pour les laïcs**.

Au sérieux du sujet autour d’une parole possible ou non sur Dieu, l’auteur répond toujours avec humour. Ainsi explique-t-il dès les premières lignes de son livre, sous une plume légère qui s’amuse sans cesse des jeux de mots: «Bien sûr, Eminence, je domine parfaitement mon sujet... D’ailleurs, Dieu, je le connais très bien (nous avons mangé ensemble pas plus tard que dimanche dernier), et je vais vous expliquer sans peine comment en parler aujourd’hui. Voici enfin l’évangélisation les doigts dans le nez!»

«La bouche qui vient de dire ‘Passe-moi le sel’, ou ‘Vous êtes belle, Monica, puis-je monter
prendre un verre chez vous?’ est-elle habilitée à dire quelque chose du divin? N’est-ce pas
le diminuer au moment même où l’on prétend l’exalter? Ou l’honorer alors qu’on voudrait s’en débarrasser pour toujours ?» Ce sont ces questions-là que Fabrice Hadjadj adresse aux lecteurs dans son dernier livre. Par sa parole profonde et décalée, drôle, «à côté», et donc souvent nouvelle, l’auteur, coiffé de sa mèche poivre et sel et de sa barbe de deux jours, nous invite sans cesse à entrer dans un autre regard pour sortir de nos idées préconçues.

Comme, par exemple, celle-ci: parler de Dieu serait plus difficile aujourd’hui qu’hier. «Non, il ne faut pas croire que parler de Dieu, c’était mieux avant ! Au contraire, la chrétienté fut la plus grande offensive portée contre le christianisme». Et Fabrice Hadjadj de s’interroger, de chercher avec nous: «D’ailleurs, existe-t-il véritablement des conditions idéales pour parler de Dieu?»

Il n’hésite pas à provoquer un peu, jusqu’à affirmer que la persécution est l’occasion rêvée d’une parole sur Dieu. «Car le seul moment où je suis le plus à même de parler en vérité coïncide avec le moment où je suis prêt à tenir à cette parole alors même qu’on veut, à cause d’elle, me supprimer », continue-t-il.

Pour l’auteur, rien ne sert donc de croire qu’on serait dans un monde beaucoup plus difficile
qu’avant. Rien ne sert d’attendre l’autorisation d’annoncer le Christ: «L’évangélisation crée ses
propres conditions de possibilité.»

De l’art de l’athéisme pour devenir croyant

Son parcours est atypique. Né dans une famille de confession juive, Fabrice Hadjadj devient
athée et anarchiste durant son adolescence. Mais aujourd’hui, il se présente volontiers comme un
«juif de nom arabe et de confession catholique».

A la question: «Comment êtes-vous devenu croyant?», Fabrice Hadjadj préfère donc commencer par expliquer comment il est devenu athée. «Il faut, en effet, supposer qu’on le de
vient, explique-t-il, car l’athéisme n’est pas une position fondamentale.»

Pour lui, tout a commencé petit, dans les Hauts-de-Seine, banlieue huppée parisienne d’où il vient. Il avait 6 ans. «J’étais avec mon chat, sur le perron de la maison, quand j’ai eu comme une sorte de lumière, l’expérience du mystère de l’existence. C’est ainsi que, depuis le berceau (ou presque),
j’ai été sensible, dans l’éveil de mon intelligence, aux questions qui touchent à l’existence comme
mystère.

Puis le conditionnement est venu prendre le dessus: famille juive assimilée d’abord. Puis
l’école laïque, ou plutôt, l’école antichrétienne.» Cet enseignement fut la grille de lecture des textes
qu’il découvrait alors avec passion: Baudelaire, Rimbaud, ainsi que Georges Bataille et
Nietzsche en philosophie.

Pendant plusieurs années, Fabrice Hadjadj s’évertue à être un véritable athée. Mais un point
le titille: il prend de plus en plus conscience du préfixe privatif contenu dans le mot «a-thée».
«Etre athée était encore une façon d’être à Dieu. Je n’étais pas satisfait. C’est en réalité plus difficile à défendre qu’il n’y paraît. Un athéisme honnête est obligé de s’ouvrir, d’imploser, de se
déchirer sur l’attente d’une révélation. L’attente de quelque chose qui est transcendant. Une
initiative qui viendrait de l’autre, et non pas quelque chose qui serait sa propre construction».

L'athée arrive à un point de non-retour: à moins de se prendre pour le Juge ultime, il doit accepter une non-conclusion, il ne peut pas avoir le dernier mot. «Finalement, je suis devenu chrétien dans une grande continuité avec mon athéisme!» s’exclame-t-il.

De l’art de faire les trous des macaronis

Fabrice Hadjadj fut donc pendant longtemps cet antichrétien qui n’avait pas lu la Bible, mais qui voulait aller le plus loin possible dans son athéisme. «J’étais même tenté par le blasphème littéraire. A savoir, parodier l’Ecriture sainte. Car, en tant qu’écrivain, il n’était pas possible d’ignorer qu’il existe un livre qui s’appelle Le Livre, qui est la référence.

Comprenez: il y a toujours une référence antérieure. Par exemple, quand je mange des macaronis et que je dis: ‘Les macaronis sont bons’, la bonté des macaronis n’est pas la référence ultime qui explicite le sens du mot ‘bon’. Même les macaronis se rapportent à une autre réalité! Quand on dit ’bon’, que dit-on en vérité?» Et Fabrice Hadjadj de continuer en souriant, avec ce brin d’humour qui l’anime en tous points: «Et d’ailleurs, il y a une autre grande question: comment fait-on les trous des macaronis?»

Dès lors, il fallait se confronter à cette référence ultime. Il le fit d’abord par le biais du Livre
d’Isaïe. «Mais plus je parcourais les pages de la Bible, plus je découvrais que la révélation
n’était pas ce que je croyais. Qu’en réalité, la radicalité que je cherchais se trouvait là».

Chrétien désormais et père de six enfants, Fabrice Hadjadj maintient, pour notre plus grand plaisir, un regard définitivement décalé: «Parler de Dieu nous place nécessairement dans une position de clown! Voici les chrétiens qui bégayent, bafouillent, balbutient, clowns qui doivent témoigner de ce qui les surpassent...

Ils sont envoyés comme hérauts du ‘Royaume’, alors qu’ils font leurs courses à la Migros. Ils sont désignés comme ‘lumière du monde’ alors qu’ils cherchent l’interrupteur de leur chambre.» Pour Fabrice Hadjadj, le chrétien est définitivement drôle à ses dépens. Et en effet, avec son humour et son ironie débordante, ce chrétien-là, il l’incarne à la perfection. Il nous tient et excelle à nous faire réfléchir et rire en même temps.

*Le Prix Spiritualité d’Aujourd’hui a été créé en 2000 par André Chouraqui. En 2012, il a été attribué à Alexandre Adler pour Le Peuple-Monde, destin d’Israël (Albin Michel).

**Le Conseil pontifical pour les laïcs est un organe de la curie romaine crée en 1967, en charge de l’apostolat des laïcs.