Travailler plus pour gagner… quoi au juste?

légende / crédit photo
i
[pas de légende]

Travailler plus pour gagner… quoi au juste?

Anne-Sylvie Mariéthoz
27 septembre 2013
Les Suisses ont clairement soutenu la l
ibéralisation des heures d'ouverture des shops des stations-service dimanche dernier avec 56% des suffrages. Un désavoeu cinglant pour la gauche et les Eglises.

«Les vrais enjeux ont été évacués du débat», dénonce le pasteur vaudois Pierre Farron, de la pastorale œcuménique dans le monde du travail. Les opposants à cette dérèglementation fédérés dans l’Alliance pour le dimanche, «n’ont pas su se faire entendre», concède-t-il. Mais il relève aussi que les tentatives visant à thématiser les enjeux de société, ont bien souvent été balayées au cours de cette campagne et déclarés «hors sujet».

Et de citer en premier lieu la question de la santé, «sur laquelle il existe des études absolument accablantes» démontrant les dangers du travail de nuit. Enfin la problématique du réseau social a été largement éludée. «Sur ce sujet les Eglises ne sont guère écoutées, sous prétexte que leur population de fidèles est vieillissante», note le pasteur. «Mais c’est faire bon marché de tout le tissu associatif, particulièrement riche dans notre pays et qui joue un rôle essentiel, unanimement reconnu!»

D'autres déréglementations en vue

Or tout indique que cette libéralisation ne va pas rester longtemps limitée à 24 stations-services, contrairement a ce qui a été dit et martelé au cours de cette campagne. «Car trois autres objets suivent dans le pipeline», indique Arnaud Bouverat du syndicat Unia, lesquels déréglementent encore bien plus drastiquement les horaires d’ouverture. Sans contrepartie ni concession en faveur des personnes employées dans le commerce de détail.

«Il reste presque tout à faire dans ce secteur, où seuls trois cantons disposent d’une convention collective», précise le syndicaliste. Mais puisque le patronat s’est fendu publiquement d’un certain nombre de promesses, histoire de tranquilliser tout le monde et d’emporter le morceau, les organisations de travailleurs-euses, sont bien décidées à le prendre au mot.

Reste à convaincre la majorité de la population, à qui ces offensives répétées contre la loi sur le travail sont présentées comme une évolution inéluctable. «Les propagandistes de l’époque soviétique étaient des amateurs par rapport à ceux d’aujourd’hui», s’emporte Pierre Farron. Les tenants de la flexibilisation du temps de travail ont en effet l’art de se poser en chevaliers du progrès - la liberté contre la bureaucratie, le gain économique contre l’inertie, la modernité contre les usages, etc.

Quel avenir?

Face à un tel dogmatisme, «il est particulièrement urgent de s’interroger sur la notion d’avenir», relève le pasteur. «Car on oublie à quel point notre confort de consommateur se paie cher», sur les plans social, écologique, sanitaire notamment.

Mais c’est précisément le genre d’interrogations qui peinent à faire surface dans la course continuelle de nos vies. «Tout se passe comme si notre société entretenait un rythme effréné à l’effet anesthésiant», analyse le théologien. S’arrêter, c’est affronter la peur du vide, risquer d’ouvrir la porte à des questions dérangeantes.

Ce qui explique aussi pourquoi les bienfaits d’une pause dominicale apparaissent de moins en moins comme une évidence, notamment en milieu urbain où une personne sur trois vit seule. Sans parler des jeunes qui sont particulièrement friands de shopping et le citent volontiers comme l’un de leurs loisirs favoris.

Remettre la question du sens au centre du débat, trouver la façon de toucher ces publics, sera tout l’enjeu des campagnes à venir. L’Alliance pour le dimanche a entrepris une réflexion sur sa défaite et compte bien s’armer mieux pour les prochains défis qui l’attendent.