Kenya: des pasteurs privilégient la prière aux médicaments

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Kenya: des pasteurs privilégient la prière aux médicaments

12 décembre 2013
Nairobi, Kenya (RNS-Protestinter) Certaines églises pentecôtistes organisent des cérémonies de guérison du VIH par la prière. Les pasteurs brûlent les médicaments antirétroviraux des personnes infectées et les déclarent guéries. Un réseau interreligieux dénonce cette pratique.

Cette «guérison» a un coût et certaines personnes affirment que toutes leurs économies y passent. «Je crois qu'on peut guérir les gens de toutes sortes de maladies, y compris du VIH, par la prière», a déclaré le pasteur Joseph Maina de l'Agmo Prayer Mountain, une Église pentecôtiste de la banlieue de Nairobi. «Généralement, nous les guidons. Nous ne réclamons pas d'argent, mais nous leur demandons de laisser une petite contribution à leur convenance.»

Toutefois, ces cérémonies controversées sont sources de virulentes critiques à mesure que les conditions de santé des croyants se dégradent, alimentant un débat pour savoir qui, de la science ou de la religion, doit mener les efforts de lutte contre l'épidémie de sida.

Cette question n'est pas nouvelle pour les sociétés africaines, qui ont connu des débats similaires, par exemple concernant la capacité du préservatif à empêcher la transmission du virus de l'immunodéficience humaine (VIH), responsable du sida.

Environ 6,3 millions de personnes reçoivent des médicaments antirétroviraux dans les hôpitaux et cliniques d'Afrique de l'Est et d'Afrique australe. Les guérisons par la prière sont particulièrement préoccupantes dans la mesure où les gens qui arrêtent le traitement par antirétroviraux peuvent développer une résistance aux médicaments.

Les responsables religieux doivent être un exemple

«Nous, les responsables religieux, devons montrer la voie dans ce domaine», a déclaré Jane Ng'ang'a, coordinatrice de la section kenyane de l'INERELA+, réseau interreligieux de responsables religieux vivant avec le VIH. «Nous devrions être en première ligne dans la promotion des médicaments, tout en apportant un appui psychologique et mental aux personnes infectées et affectées.»

Des responsables de l'INERELA+, qui est une organisation internationale, ont déclaré qu'en moyenne, une dizaine de personnes sont victimes chaque mois de ces pasteurs rien qu'à Nairobi. Dans l'ensemble du pays, l'organisation a recensé quelque 2000 cas de ce type. Quand leur santé se dégrade, les gens sollicitent de l'aide pour reprendre leur traitement.

Margaret Lavonga a assisté à une cérémonie de prière de guérison il y a plusieurs années. Elle a payé une somme d'argent pour une guérison par la prière et s'est retrouvée à l'article de la mort après que le pasteur lui a dit, à elle et à d'autres personnes, d'arrêter de prendre les médicaments.

«Nous étions des jeunes femmes au comble du désespoir quand nous nous avons compris que nous avions été contaminées», raconte-t-elle. À l'église, on lui a demandé de payer l'équivalent de 12 dollars pour être acceptée à la cérémonie de guérison, puis 24 dollars à la fin de la cérémonie.

Médicaments confisqués

Ensuite, le pasteur a confisqué ses médicaments ainsi que ceux de quatre autres personnes et y a mis le feu. On a demandé au groupe d'aller passer un test dans une certaine clinique de Nairobi, où toutes ont été déclarées guéries.

«Nous nous sommes jointes à lui en croisade dans les bidonvilles de Nairobi pour raconter aux gens les miracles dont le pasteur était capable», dit-elle. «J'étais pleine d’enthousiasme mais au bout de deux semaines je suis tombée malade. Quand j'ai refait le test, le virus était toujours en moi et s'était propagé, puisque je ne prenais plus les médicaments.»

Quatre de celles qui avaient été soi-disant guéries par la prière sont mortes en l'espace d'un mois, selon Margaret Lavonga, qui ne cache pas son amertume vis-à-vis de l'attentisme du gouvernement face à cette pratique.«La place de ces pasteurs est en prison», conclut-elle.

Personnes infectées rejetées par leur famille.

Roserita Nyawera, une autre victime originaire de l'ouest du Kenya, a expliqué que les gens vivant avec le VIH sont d'autant plus disposés à accepter n’importe quelle proposition de guérison qu'ils sont accablés par le désespoir et l'angoisse de la stigmatisation et du rejet par leur famille. «Quand on vous dit qu'il y une solution plus simple, on ne veut plus entendre parler des médicaments», explique Roserita Nyawera.

En Ouganda, Gabriel Amori, coordinateur de la section nationale de l'INERELA+, indique que les pasteurs pentecôtistes disent souvent aux gens que si les prières de guérison ne fonctionnent pas, c'est parce qu'ils n'ont pas assez la foi. «Les patients ne guérissent jamais, mais ils s'efforcent de le croire pour prouver leur foi, même s'il n'existe aucune preuve clinique», dit-il.

Pour le pasteur Adama Faye, de l'Église luthérienne du Sénégal, les prières pour une guérison miraculeuse infligent des dommages considérables, et pas seulement aux victimes.

«Nous sommes inquiets des conséquences néfastes qu'elles ont sur les avancées réalisées en matière de lutte contre le VIH et le sida», a-t-il déclaré. «Les autorités devraient tenir à l'œil les pasteurs qui font miroiter des miracles aux patients.» (JMP)