«Il ne faut surtout pas boycotter les vêtements produits au Bangladesh»
Photo: Pain pour le prochain
Par Joël Burri
Pas si facile d’être un consommateur responsable! C’est un peu l’impression qui ressort d’un entretien avec Shatil Ara qui lutte pour les droits des employés des usines de vêtements du Bangladesh. Sa visite en Suisse relève du marathon entre paroisses et médias pour parler de la Fair Wear Foundation pour laquelle elle travaille et qui, cette année, est au cœur de la campagne œcuménique de Pain pour le prochain, Action de carême et Etre partenaires.
La petite femme âgée de 36 ans, tout sourire, reconnaît que les employés de ces ateliers sont exploités, privés des droits les plus élémentaires. «Les objectifs de production sont tellement hauts qu’ils deviennent des robots». Le Bangladesh connaît aussi le droit des enfants et les femmes font souvent l’objet d’un véritable harcèlement dans ces usines.
De quoi pousser les clients soucieux de justice sociale à éviter les produits «Made in Bangladesh». Mais Shatil Ara le dit clairement: ce serait contre-productif. «L’économie bangladeshi dépend énormément de l’industrie textile. Un boycott priverait d’emploi des milliers de personnes parmi les plus précaires.» Et il n’est pas garanti que les autres pays de production des vêtements –choisis pour leurs niveaux de salaires particulièrement bas– offrent de meilleures conditions de vie aux travailleurs.
Seul le consommateur a le pouvoir de faire changer la situationShatil Ara soulève encore un point: «le gouvernement bangladeshi ne peut pas prendre des mesures trop contraignantes pour améliorer les droits des travailleurs. Sinon les marques feront produire leurs habits dans d’autres pays.» Le consommateur joue donc un rôle clé dans l’amélioration de la justice sociale dans ces pays. «Il est le seul à pouvoir faire pression sur les marques.»
Mais les consommateurs suisses ont souvent l’impression qu’un petit geste de leur part ne change rien. «Il ne faut pas se décourager. Les choses changent! Cela fait plus de trente ans que les conditions de travail au Bangladesh sont très mauvaises. Pourtant depuis dix ans on en parle! Grâce à la prise de conscience des consommateurs, des progrès ont été faits.»
Une solution toute simple consiste donc à privilégier des vêtements de marques membres de la Fair Wear Foundation, par exemple. Cette organisation a mis en place un code de conduite comprenant huit critères allant de l’interdiction du travail des enfants à la liberté syndicale. En adhérant à la Fair Wear Foundation les marques s’engagent à la respecter et à la faire respecter aux ateliers qui travaillent pour elles.
Faire connaître leurs droits aux travailleurs«Les syndicats présents au Bangladesh ont un grand travail à faire pour faire connaître leurs droits aux travailleurs et mettre en place des réseaux pour récolter des informations sur la réalité des conditions de travail dans chaque usine. Et ce n’est pas facile tant le recours à des chaînes de multiples sous-traitants est fréquent.» Le travail des syndicats est toutefois facilité dans les 41 ateliers travaillant pour des marques adhérentes à la Fair Wear Foundation. «Nous avons mis en place des cours de formation pour les cadres supérieurs des fabricants. Nous leur expliquons par exemple que les comportements de harcèlement sur les travailleuses sont contre-productifs.»
Les employés de ces usines disposent également d’une ligne téléphonique permettant de signaler les problèmes. «Quand un non-respect de la charte est observé, nous prévenons la marque et le cas est réglé la plupart du temps en quelques jours seulement», explique Shatil Ara.
Elle organise également des rencontres pour les femmes: «souvent, elles sont harcelées au travail et subissent des pressions à la maison.» Shatil Ara est assez fière: «J’ai inventé un jeu. Les femmes peuvent gagner de petits lots comme un peu de shampoing si elles répondent correctement à des questions sur le droit du travail. C’est une méthode beaucoup plus efficace qu’une conférence pour inciter les groupes de femmes à écouter.»
Construire la confianceMais tout n’est pas facile. Shatil Ara regrette que souvent les marques préfèrent se passer d’un sous-traitant plutôt que d’insister pour l’amener à respecter les règles de la charte. «Nous avons besoin de la confiance des travailleurs et des patrons de ces ateliers. C’est très dur pour nous de leur faire comprendre qu’ils ont tout à gagner à respecter cette charte s’ils perdent un contrat.»
ConférenceDavantage d'informations sur les conférences de Shatil Ara sur le site de la campagne de carême.
Une conférence est annoncée le 19 mars à 19h30 au Collège de Dardens à Bulle.Cet article a été publié dans:
L'hebdomadaire protestant d'actualité «Réforme» dans son édition du 24 avril 2014