Le débat, seul garde-fou au racisme?
«La Liberté d’être raciste?», tel est le titre d’une conférence-débat donnée mardi à l’Université de Genève dans le cadre de la Semaine contre le racisme devant une centaine de personnes. Les deux intervenants Maya Hertig, professeure de droit public et François Dermange, professeur d’éthique se sont interrogés sur «un juste équilibre, entre liberté d’expression et lutte contre les propos racistes». Ils ont donné un panorama de la gestion des tensions entre liberté d’expression et protection contre les discriminations, dans les systèmes juridiques de différents pays et dans l’éthique au fil des siècles.
Cette conférence a été l’occasion pour François Dermange de déclarer sa foi en le débat et d'affirmer son adhésion à l’inscription posée à l’entrée de l’Université des Bastions: «Le peuple de Genève, en consacrant cet édifice aux études supérieures, rend hommage aux bienfaits de l’instruction, garantie fondamentale de ses libertés.»
Un point de vue qui a fait vivement réagir le public. Un jeune homme lui a fait remarquer que ces débats d’intellectuels n’étaient pas suffisants face au problème du racisme et que parfois, il faut agir avec ses tripes. Une jeune femme, quant à elle, a demandé au professeur s’il y croyait vraiment.
L’éducation pour vaincre le racisme«Le problème avec les tripes, a répondu François Dermange, c’est que ce sera toujours tripes contre tripes et, malheureusement on n’a pas trouvé d’autre solution que de faire appel à la raison pour résoudre pacifiquement les conflits. Les Lumières - ce mouvement intellectuel lancé en Europe au XVIIIe siècle pour promouvoir l’éducation et la connaissance - ne sont pas tombées de nulle part. Elles sont arrivées après que catholiques et protestants se sont étripés parce qu’ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord.»
En conclusion de quoi, paraphrasant l’inscription posée à l’entrée de l’Université des Bastions, il conclut: «Le peuple de Genève n’a pas d’autre solution que l’éducation pour préserver la liberté. C’est un projet fragile, mais c’est un projet en lequel je crois.»
Sanctions disproportionnées et lois trop vaguesDans son côté, Maya Hertig a débuté son exposé en insistant sur le fait qu’il existe deux situations juridiques qui nuisent à la liberté d’expression. Il s’agit des cas où les sanctions sont disproportionnées et ceux où les lois sont trop vagues pour permettre aux citoyens de connaître les limites. Elle a présenté ensuite la gestion de la tension entre liberté d’expression et lutte contre les discriminations dans plusieurs démocraties.
Aux Etats-Unis, où la méfiance vis-à-vis de l’Etat est grande, les législateurs, par crainte de l’arbitraire, s’interdisent de mettre en place des systèmes jugeant les propos selon leur contexte, ils se bornent à définir le plus clairement possible des catégories d’expressions illicites. Au Canada ou en Europe, l’esprit de la loi est plutôt de procéder à une pesée des intérêts entre deux valeurs nécessitant protection, en ayant largement recours au contexte des propos prononcés.
Protéger les pensées minoritairesFrançois Dermange a rappelé que la Liberté d’expression visait à l’origine la protection des pensées minoritaires dans une société et qu’elle ne pouvait pas être dissociée d’une forte connotation éthique. «La liberté, ce n’est pas faire ce que l’on veut, mais c’est pouvoir faire ce que l’on doit faire», a-t-il résumé.
Il a également relevé que les Lumières visaient un idéal de pensée autonome par le débat et l’éducation. «Nos sociétés libérales se sont ainsi construites sur le droit, défendant des principes universels permettant de vivre en société et sur des valeurs éthiques, plus personnelles, permettant l’adhésion à des communautés».