L’interdiction de l’enseignement des thèses créationnistes serait une atteinte à la liberté d’expression
Image: La Chute d'Adam et Eve, par Brueghel et Rubens, autour de 1615.
«Au début de cette année scolaire (2013), j’ai été nommé enseignant d’histoire pour des enfants d’une dizaine d’années, et nous avons abordé le thème de la création du monde. Je leur ai présenté les thèses de la théorie de l’évolution, en spécifiant bien que les données scientifiques confirmaient effectivement une microévolution (existence de changements au sein des espèces), mais que la macroévolution (généralisation du processus sur l’ensemble du vivant) demeurait une hypothèse», explique Joaquim Sieber, dans un document à paraître ce jeudi sur internet. «Mes élèves ont été sciemment inscrits par leurs parents dans notre école pour qu’ils aient accès au point de vue chrétien. C’est donc ce par quoi j’ai continué. J’ai expliqué la théorie créationniste, en spécifiant bien que ce n’était que des hypothèses, et qu’aucune preuve scientifique n’avait jamais prouvé cette théorie, bien que certaines puissent être interprétées dans ce sens.»
Le jeune homme de 23 ans a enseigné durant deux ans les maths, la science, l’histoire, la géographie et la citoyenneté dans une des trois écoles vaudoises membres de l’association d’écoles chrétiennes Instruire.ch. Il ne dévoile pas laquelle: «la plupart des milieux évangéliques ont peur des médias. Mais pour moi, il est important de présenter ouvertement notre enseignement.» Dans son texte de 38 pages, complété d’annexes, il suppose que les réactions hostiles face au créationnisme seraient dues à une simple «peur de la différence». Il s’est donc lancé dans un travail de présentation très complet, sur ce thème qui a priori ne l’intéressait pas plus que ça. «Ce sujet n’est pas très important pour une foi vivante», nous a-t-il confié.
Enquête administrative vécue de l'intérieurLe jeune enseignant présente, de l’intérieur, le déroulement de l’enquête menée par la Direction générale de l’enseignement obligatoire du canton de Vaud (DGEO) pour répondre à l’interpellation déposée par le député Vert Martial de Montmollin, à la suite d’un article de Protestinfo repris par plusieurs médias en janvier. Mi-avril, l’école recevait un courrier de la DGEO, dans lequel la direction constatait «une certaine confusion entre croyance créationniste et théorie de l’évolution» et exigeait des ajustements. La direction de cette école aurait ensuite demandé des précisions, notamment sur les bases légales dont dispose l’administration pour appuyer cette demande. Une visite d’un cadre de la DGEO aurait suivi cette demande, durant laquelle le fonctionnaire aurait reconnu que le Canton n’avait aucune base légale pour justifier l’interdiction de présenter les thèses créationnistes dans les écoles chrétiennes. Interrogée sur ce sujet, Anne-Catherine Lyon a fait savoir, par l’intermédiaire de son délégué à la communication, qu’elle refusait de s’exprimer avant de présenter la réponse du Conseil d’Etat devant le Grand Conseil et que «l’interlocuteur de Protestinfo doit être mal informé.» A la suite de quoi, une demande de préciser la base légale est restée lettre morte.
Une atteinte à la liberté religieuseDans sa publication, Joaquim Sieber met également en garde contre les conséquences d’une interdiction de l’enseignement créationniste. «Ce débat est bien plus complexe et profond, car il questionne les valeurs, les croyances et les idéaux de chacun. Au début, mon but était de défendre mes propres croyances, mais au final, je crois que ce combat concerne toutes croyances. Aujourd’hui, c’est le créationnisme qui est attaqué. Et demain? Et si un jour une théorie dite scientifique démontrait que la liberté n’est pas bonne pour les humains?»
Document completLe dossier de Joaquim Sieber peut être consulté sur ce site web.
L'avis du biologiste
«L’évolutionnisme se base donc sur une réalité scientifique, la microévolution. Cependant, l’extrapolation de la microévolution à la macroévolution n’est à ce jour assise sur absolument aucune preuve scientifique», affirme l’enseignant créationniste dans son document. «C’est dommage qu’il ne connaisse pas les fossiles», répond sans hésiter Laurent Keller, directeur du Département d’écologie et d’évolution de l’Université de Lausanne. «Grâce aux fossiles, on peut montrer l’évolution morphologique des espèces et des groupes d’espèces. En effet, chaque fossile peut-être daté précisément par la strate géologique dans laquelle il a été découvert. A moins que l’on considère que Dieu est allé cacher des fossiles, on a là une démonstration de l’évolution des espèces».
L'avis du théologien
«Reprendre les récits de création comme s’ils étaient des vérités scientifiques en dépit de tous les progrès de l’humanité est de l’obscurantisme qui est intolérable à l’école», réagit Thomas Römer spécialiste de l’Ancien Testament à l’Université de Lausanne et au Collège de France. «Ces textes reprennent des mythes babyloniens que les auteurs bibliques ont connus lorsqu’ils y étaient en exil. Difficile de savoir quelle valeur ils leur donnaient alors. Les sept jours de Genèse 1-2,3 ont pour objectif de légitimer le shabbat. Mais, il y a manifestement des différences entre les deux récits de création de la Bible. En Genèse 1, homme et femme sont créés en même temps, alors qu’en Genèse 2, Addam est crée en premier, ensuite les animaux, ensuite seulement la femme. Les récits de création veulent expliquer les origines avec les savoirs et les idées qui étaient ceux de leur époque (et inspirés des idées babyloniennes).»
Quant à la place qu’occupe la Bible dans la foi, «elle est comprise par les croyants comme parole divine, mais cela peut signifier des choses très différentes», souligne Thomas Römer. «Certains prennent tout à la lettre, ce qui est finalement impossible à cause des contradictions qui existent dans le texte biblique. Mais, pour beaucoup de traditions chrétiennes, la Bible est parole de Dieu d’une manière transmise par les hommes. Il faut l’interpréter et l’actualiser pour chaque époque. Il y a aussi le courant barthien, pour qui la Bible est témoignage de Jésus Christ qui, lui, est la vraie parole de Dieu. Mais la Bible n’est pas perçue comme lettre écrite par Dieu, car même chez les courants fondamentalistes, c’est Moïse qui a écrit le Pentateuque, et non pas Dieu lui-même.»
Cet article a été publié:Le 21 août 2014, sur le site internet du quotidien fribourgeois La Liberté.
Dans l'édition du 23 août 2014 du quotidien vaudois 24heures.