«Personne ne boit de l’alcool dans le but de finir intoxiqué et à l’hôpital»
Photo: CC (by-nc) Ms D. Meanor
«Une personne en intoxication alcoolique est en danger de mort et requiert des soins médicaux», lâche Jean-Félix Savary, le secrétaire général, depuis dix ans, du Groupe romand d’études des addictions (GREA). La consultation sur la révision de l’assurance-maladie (LAMal) selon l’initiative du politicien UDC, Toni Bortoluzzi, «Coma éthylique. Aux personnes en cause de payer les frais des séjours hospitaliers et en cellule de dégrisement», s’est terminée fin octobre. Le GREA rejette vivement cette initiative qu’il qualifie de «dangereuse et radicalement opposée au travail de prévention».
Selon Jean-Félix Savary, ce sont les jeunes qui subiraient le plus cette initiative. «Par exemple, un groupe de préadolescents boit de l’alcool à l’insu de leurs parents. L’un d’eux profondément ivre s’endort inconscient. Plutôt que de l’emmener à l’hôpital et de devoir payer 2000 francs, les autres les laissent dormir en espérant qu’il ira mieux. Le lendemain, il est mort des suites d’un arrêt cardiaque», explique le secrétaire général. L’alcool agit comme un dépresseur du système nerveux. Après avoir consommé une grande quantité de boisson, la personne peut tomber dans un coma éthylique, arrêter de respirer et mourir. Alors qu’un alcoolique chronique – dont le profil type est un homme entre 40 et 50 ans – va forcément faire des séjours à l’hôpital, car il est malade, ce n’est pas le cas d’un préadolescent intoxiqué, s’il doit payer les frais.
«Personne ne boit de l’alcool dans le but de finir à l’hôpital. Depuis plus de vingt ans, tous les discours sur la prévention encouragent à amener les personnes intoxiquées à l’hôpital. Cela permet non seulement de les soigner, mais aussi d’identifier le problème et d’amorcer une prise de conscience». D’ailleurs, il existe des mesures préventives qui permettent de diminuer la consommation de boisson chez les jeunes. Le «régime de nuit», en vigueur à Genève, par exemple: «La vente d’alcool à l’emporter est interdite à partir de 21h. Grâce à cette mesure, le taux d’intoxication alcoolique a diminué de 40% chez les jeunes», précise Jean-Félix Savary.
Une réglementation des droguesLe GREA qui s’intéresse à tout type d’addiction prône la réglementation des drogues. «La prohibition d’un produit engendre une hausse des dommages, tout comme l’absence de règles. Il s’agit donc de trouver un compromis entre les deux», explique le secrétaire général. Il existe différents systèmes de réglementation, les villes suisses ont retenu celui des associations contrôlées. Pour l’instant, ce projet ne concerne que la consommation de cannabis. «Selon ce modèle, l’Etat autorise des associations à produire du cannabis pour leurs membres. Les consommateurs s’enregistrent auprès de l’association – un cercle fermé – et elle leur fournit le produit. Ainsi le marché noir disparaît. A Genève, 50 kilos de cannabis sont consommés par jour actuellement, et pas un gramme n’est réglementé. La réglementation permettrait non seulement de diminuer le niveau de criminalité lié à la drogue mais aussi de contrôler la qualité des produits».
50 ans d’étude de l’addictionCréé il y a 50 ans, le GREA a observé des mutations importantes dans le champ des addictions. «Depuis un demi-siècle, on remarque une baisse continuelle de la consommation d’alcool et une augmentation des drogues illégales. Toutefois, l’alcool reste en tête des principales addictions», remarque Jean-Félix Savary. Et si dans les années 1960, on ne parlait pas de santé publique, l’arrivée des drogues par injection avec notamment le virus du sida dans les années 1980, a amené la Confédération à prendre en charge cette problématique. Alors que chaque contexte est différent, «l’addiction est toujours une triangulation entre un contexte, un individu avec sa propre histoire et un produit qui a certaines caractéristiques».
«Une autre constante qu’il ne faut pas oublier: le plaisir. Tous les psychotropes ont en commun de procurer du plaisir et d’agir sur le système de la récompense», ajoute le secrétaire général. Chaque culture a son produit psychotrope de prédilection qui est souvent liée à un rite social. Si en Europe, on boit du vin, en Afrique du Nord, on aura tendance à consommer du cannabis, en Inde de l’opium et dans la péninsule arabique du khat. «Dans l’addiction, l’individu a évidemment une responsabilité, mais la collectivité également».
Créé en 1964, le GREA fête ses 50 ans cette année. Cette association qui réunit des professionnels de l’addiction vise à apporter une expertise professionnelle dans les débats politiques. Elle propose différentes formations dont un Certificate of advanced studies (CAS) et un Diploma of advanced studies (DAS) en collaboration avec la Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO). Le GREA réalise également des mandats pour les pouvoirs publics. Pour célébrer son demi-siècle d’existence, l’association romande organise un festival de films qui se déroule du 3 septembre au 5 décembre dans différentes villes de Suisse romande ainsi qu’un colloque sur les sciences de l’addiction, à Genève, du 11 au 13 novembre prochain. L’ancien conseiller d’Etat, Dick Marty, donnera une conférence publique, le mardi 11, à 18h30, à l’Uni-Mail.
Cet article a été publié sur:
Le site internet de 24heures, le 10 novembre 2014.