Le Centre social protestant appelle à une véritable révolution culturelle
«Notre mission», déclare d’emblée Hélène Küng, la directrice du CSP Vaud, lors de la conférence de presse qui s’est déroulée mercredi 18 mars, à Genève, «c’est aussi rendre compte de la réalité que nous rencontrons. Santé, logement, travail, il existe plusieurs formes de précarités qui se potentialisent. En Suisse, la précarité et la pauvreté sont peu visibles, car notre pays est relativement prospère. Mais les écarts se creusent. Et le contexte politique déforme et stigmatise la pauvreté: l’abus de prestations sociales est mis en avant, alors qu’il reste rare. En effet, une enquête de l’Office Fédéral des statistiques, réalisée en 2009, montre que 28,5% des personnes qui en ont besoin n’ont pas recours aux aides par manque d’information».
Et si l’aide sociale est un droit, elle reste une demande très difficile à faire. «Quand les gens s’adressent à nos services, notre rôle, dit-elle, est de les aider à surmonter cette gêne, les aider dans les dédales administratifs, et leur permettre de découvrir leurs droits.»
Alerter les pouvoirs publics sur les dangers du non-recours«Le non-recours aux prestations sociales est un phénomène d’une ampleur peu connue», continue Alain Bolle, le directeur du CSP Genève. «Pourtant on rencontre des personnes qui se retrouvent victimes de surendettement, parce qu’elles ne savaient pas qu’elles avaient droit à des prestations d’aide, qui auraient pu leur éviter la précarisation. Ils ont honte, peur d’avoir à rembourser les aides. Les freins administratifs sont très importants. Ce sont des gens qui renoncent à aller consulter le médecin, à aller chez le dentiste, et dont le lien social s’étiole.»
Une étude sur l’ampleur du non-recours va démarrer ce printemps dans le canton de Genève, sous l’égide de la HES Genève, en partenariat avec l’Hospice Général, le service social de la ville de Genève, Caritas et le CSP. «On attend les résultats de l’étude pour début 2016, et on espère à partir de là pouvoir faire des propositions concrètes aux politiques», déclare Alain Bolle. Avant de conclure: «ce sont les enfants, les familles monoparentales et les familles de plus de 3 enfants qui sont les plus précarisées. Les CSP sont des services privés d’aide sociale, indépendants des services sociaux cantonaux et communaux. Sans le soutien de la population, on n’arriverait pas couvrir nos budgets.»
Un investissement sur l’avenirEn matière de communication aussi, le CSP a tout d’un grand: à la manière d’un jeu, des panneaux colorés impossibles à rater invitent le public à gratter leur surface pour découvrir ce qu’il y a dessous. Qu’y a-t-il à gagner? «Tout pour tous», explique le directeur du CSP Berne-Jura, Pierre Amman, pour qui l’aide que l’on prodigue aux plus pauvres et aux plus fragiles est à voir non pas uniquement comme un coût, mais comme «un véritable investissement pour l’avenir».
«Dans le monde politique, il y a un réel manque de modernité dans la manière d’aborder la pauvreté, parce qu’on ne la vit pas!» fait-il remarquer. Pour Pierre Ammann, «on doit avoir une approche beaucoup plus moderne des prestations sociales et des prestations sous condition de ressources. On doit penser en termes d’investissement et de buts à atteindre. C’est l’amélioration sociosanitaire de la population à long terme qu’il faut viser». D’autant plus souligne-t-il, «que dans notre société néo-libérale, personne n’est à l’abri de la précarité. L’ascenseur social en Suisse ne fait pas que monter, il descend aussi.»
L’exemple d’une collaboration réussieLe CSP est historiquement né du mouvement du protestantisme social. L’association suisse regroupe aujourd’hui les centres des cantons de Genève, Vaud, Neuchâtel et Berne-Jura et fédère leur action sociale. Aujourd’hui dans certains cantons, l’association est complètement séparé des institutions ecclésiales. «Mais les protestants continuent à soutenir le CSP à titre individuel», dit Pierre Amman. Du côté du Centre Berne-Jura par exemple, le lien est encore très fort, «c’est le synode qui nomme les membres du comité», explique le directeur. Mais l’institution s’est progressivement laïcisée, car se veut au service de l’ensemble de la population, sans aucun caractère prosélyte. «Elle reste, toutefois, une œuvre d’obédience protestante au niveau des valeurs» qu’elle concrétise.
Ainsi, continue-t-il, «une personne en difficulté est pour nous une personne qui a des ressources, qui a des moyens de faire face. On doit lui tendre la main rapidement pour lui permettre de reprendre pied. On veut répondre efficacement, c’est-à-dire en prenant compte de ses différences, son histoire, et ses ressources propres. Parfois aussi, il faut savoir dire "je ne peux rien pour vous" et orienter au mieux la personne.» Un bénéficiaire de prestations fournies par le CSP disait il y a peu à Pierre Ammann combien il avait été touché par l’humanité qu’il avait rencontrée dans l’institution. «Qu’entendez-vous par là?», lui a demandé le directeur du CSP. «Le courage qui est le vôtre à prendre encore le temps de l’écoute».