«Trans ou cisgenre, la dualité homme-femme nous traverse!»
«Sommes-nous libres de changer de genre?» Sur le plan médical, en Suisse, la réponse à cette question est positive. Mais pour Dieu, qu’en est-il? Le médecin et théologien Bertrand Kiefer propose de tenter d’y répondre. A Lausanne, cet ancien membre de la Commission nationale d’éthique dans le domaine de la médecine humaine participera le 11 novembre à un café théologique du groupe Pertinence, affilié à l’Eglise évangélique réformée du canton de Vaud (EERV). L’occasion d’une discussion «libre» avec le public, qui sera invité à dialoguer avec lui sur les nouveaux enjeux que pose la distinction du sexe et du genre ou encore les limites de la biologie. Le but de cette rencontre? Donner des «repères théologiques» face à une quête d’autodétermination qui concerne de plus en plus de personnes aujourd’hui. Interview.
Selon vous, la foi chrétienne est-elle compatible avec la question trans?
Absolument. Certes, il existe un trouble anthropologique d’une nouvelle nature. C’est un changement majeur de notre époque: il est désormais possible d’agir sur le corps humain, que ce soit par la chirurgie, l’hormonothérapie… On peut le transformer, l’améliorer et la question de l’hybridation technologique se pose déjà. Ma lecture des textes bibliques ne trouve rien pour s’opposer a priori à tout cela. En revanche, ces évolutions nous obligent à repenser les limites de ce qu’est l’humain. Et je pense que la morale classique n’est pas la mieux indiquée pour y réfléchir. Les termes de permission et d’interdiction, par exemple, apparaissent peu adaptés ou du moins ne suffisent pas.
L’évolution du concept de genre, dissocié du sexe biologique, est-elle bénéfique pour la société?
Je pense que c’est une nécessité. Beaucoup de gens ont souffert, à travers les âges, du genre qu’on leur avait attribué en raison de leur sexe biologique et dans lequel ils avaient du mal à s’insérer. Le concept de genre féminin ou masculin est une construction sociale qui varie selon les sociétés et les époques. Sans compter que le ressenti intime concernant son identité de genre peut varier et il est important d’être à l’écoute de ce dernier, pour soi et pour les autres. Toutefois, je pense que si l’on veut rester totalement éthique, il est primordial que nous réfléchissions à la valeur que nous donnons à ce ressenti. Surtout chez les mineurs qui décident de démarrer une transition de genre.
A vos yeux, sommes-nous totalement libres de changer de genre sur le plan biologique?
Lorsqu’il y a transition de genre, le sexe biologique ne suit qu’en partie: la fertilité selon le nouveau genre n’est notamment pas possible. Quant à l’abord chirurgical, il reste très primitif et peu satisfaisant. En revanche, la pilosité, la voix et d’autres aspects fortement genrés se modifient, permettant ainsi que la société attribue à une personne l’identité qu’elle souhaite afficher. Cela semble suffisant à de plus en plus de femmes, par exemple, pour que la transition vers le genre masculin soit suffisante, quand bien même aucun acte chirurgical n’est effectué. Ce qu’elles cherchent n’est pas forcément une ressemblance biologique totale avec les hommes, mais plutôt le statut social qui découle de leur nouveau genre.
Ces transitions auraient-elles donc un facteur sociologique?
Il y en a sans doute un reflet du néo-libéralisme qui s’exprime chez ceux qui souhaitent s’autodéterminer ainsi. Or, comme toute forme de ressenti, celui du genre n’est pas à l’abri d’influences extérieures qui peuvent être sociales ou culturelles. En tout cas, ce qui semble prouver que la transition de genre peut aussi relever d’un mouvement de mode, à petite échelle, c’est qu’on voit certains groupes d’individus devenir de véritables clusters de personnes qui transitionnent. Il faut être attentif à ce phénomène. Mais il n’empêche pas de prendre au sérieux et d’accueillir les personnes souffrant de dysphorie de genre.
Comment interprétez-vous la notion selon laquelle «Dieu nous a créés à son image, mâle et et femelle» à la lumières des réalités contemporaines sur le genre?
Il s’agit, me semble-t-il, de ne pas en avoir une lecture littérale. Toutefois, il y a dans ce texte de la Genèse quelque chose de fondamental. Derrière les concepts bibliques d’homme et de femme, on peut percevoir une dualité fondamentale, source de différence et de désir, féconde et parfois conflictuelle, qui enrichit et fonde l’existence des humains. Même les non-binaires se définissent par rapport à un questionnement ou une forme de rejet face à cette dualité. Que l’on soit trans ou cisgenre, il n’y a rien à faire: elle nous traverse!
A vos yeux, comment le débat sur le genre va-t-il évoluer dans le monde religieux suisse au cours des prochaines années?
A-t-il déjà eu lieu? Je pense qu’il est temps de déstabiliser les institutions religieuses à ce propos, et surtout l’Eglise catholique. En effet, son refus de toute ouverture concernant las mœurs la met dans une position de déni. Elle n’a pas vraiment bougé sur la contraception, l’avortement ou l’homosexualité et ne bouge quasiment pas face aux graves scandales sexuels qui touche son clergé. Comment parler de vérité sans une exigence de vérité en son sein ?
Il est souvent affirmé aujourd’hui qu’il faut être concerné par un sujet pour pouvoir en parler. Quelle légitimité avez-vous à parler des transgenres?
Ma légitimité d’humain, de médecin et de théologien. Je n’ai pas la prétention d’avoir raison mais de poser des questions avec un regard éthique. J’ai été président de la Commission cantonale sur les drogues à Genève sans m’être jamais drogué… La limitation du droit de s’exprimer aux seules personnes concernées est un déni de démocratie. Il faut au contraire créer des espaces de réflexion où le respect est de mise, et auxquels chacun est invité à participer.