Créer la communion ou faire communauté?

Rassemblement œcuménique du 23 juin. / © Claire Riobe
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Rassemblement œcuménique du 23 juin.
© Claire Riobe

Créer la communion ou faire communauté?

Roxane Desbois
27 août 2024
France
Face à la montée de l’extrême droite en France, comment se positionnent les chrétiens? En réaction aux propos ambivalents de certaines Eglises, des organisations exigent davantage de clarté.

42%! C’est le taux de catholiques français qui, selon le sondage IFOP/La Croix du 9 juin, auraient voté pour l’extrême droite aux élections européennes du printemps. 37% pour les protestants! Un constat à nuancer. «Il y a une nécessaire distinction entre les personnes qui se revendiquent d’une ‹culture› chrétienne et celles qui ont une réelle pratique religieuse», souligne Gabriel Amieux, jeune employé du Secours catholique et co-initiateur d’une tribune et d’un rassemblement en juin dernier contre l’extrême droite.

De fait, 18% des pratiquants réguliers ont voté Rassemblement national (RN), contre 40% pour les autres. Aller à la messe suffirait-il à éloigner les chrétiens de la «tentation»? Pas si certain! Marion Jacquet-Vaillant, chercheuse en sciences politiques, constate qu’historiquement plus les catholiques pratiquent leur foi, plus ils sont résistants à l’extrême droite, mais que, dans le même temps, une frange conservatrice adhère à ces idées. L’alliance entre Eric Zemmour et Marion Maréchal en 2022, mêlant identitarisme, islamophobie et conservatisme social, favorise le glissement de certains chrétiens. «Pensant que ce vote est la seule option pour sauvegarder leurs valeurs, certains chrétiens préfèrent le repli communautaire, oubliant la communion à laquelle les appelle l’Evangile», précise Gabriel Amieux.

Consignes de vote

La probabilité, à la suite de la dissolution surprise de l’Assemblée nationale en juin dernier, que l’extrême droite arrive au pouvoir en France a incité des instances religieuses à se positionner. L’Eglise réformée, dans un communiqué, assume son rôle historique de rempart: «Se tenir à l’écoute de l’Evangile a nécessairement des conséquences politiques qui s’opposent au programme du RN.» L’Union des Eglises protestantes d’Alsace et de Lorraine, moins directe, souligne l’importance de «tendre la main à toute personne en difficulté, quelles que soient ses convictions ou ses origines», mais ne donne pas de consigne de vote. Elle introduit cependant une équivoque en parlant du piège des «propositions extrémistes», au pluriel. De même, la Fédération protestante de France, tout en appelant à un «vote conscient et responsable», évoque un «choix cornélien entre le racisme de l’extrême droite et l’antisémitisme de la gauche extrême», laissant entendre que le RN et l’union des gauches représenteraient des dangers d’égale mesure. Du côté catholique, la Conférence des évêques de France, encore plus prudente, invite les catholiques à «exercer leur responsabilité démocratique» tout en développant une posture plus spirituelle que politique.

Contorsions

Le journal français Témoignage chrétien, fondé en 1941 pour lutter contre la montée du totalitarisme, évoque des Eglises en «état de contorsion devant ce qui devrait être l’évidente condamnation du vote pour le RN» et souligne «une radicale opposition entre le sens profond, évident, de l’Evangile et les choix de société du RN».

C’est sur l’Evangile précisément que s’appuie la mobilisation de jeunes organisations chrétiennes progressistes (Dorothy, Anastasis, Lutte et Contemplation…) qui, au lendemain des élections européennes, rédigent spontanément une tribune contre l’extrême droite, publiée le 18 juin dans La Croix et signée par plus de 6000 chrétiens! Le texte dénonce les mirages de l’extrême droite ainsi que son mépris de la question écologique. Dans l’élan de cette tribune, un rassemblement œcuménique, Justice et Espérance, est organisé le 23 juin à Paris, pour porter, comme en témoigne Gabriel Amieux, «une parole forte face à l’instrumentalisation de l’identité chrétienne et opposer au récit ambiant de peur, de division et de repli, la joie, la paix et l’espérance».