La promesse de l'aube
Romain Gary raconte, dans La Promesse de l'Aube, sa vie, de l'enfance au début de l'âge adulte. Il romance très certainement ses souvenirs. Peu importe, car cet écrit s'impose par le développement d'un thème qui s'avère décisif pour tout être humain : nous vivons de promesses. A l'aube de sa vie, Romain Gary entend, en effet, sa mère lui faire une promesse qu'elle lui rappellera avec une belle régularité et de toutes sortes de manières. Et Gary de montrer comment cette promesse a déterminé toute sa vie. Elle lui a redonné le courage qui lui manquait. Elle lui a donné un certain nombre de repères lorsqu'il lui fallait faire des choix.
La foi en l'avenir de son fils
Gary était le fils unique d'une mère célibataire. Ils fuient la révolution russe de 17 dans les pays baltes, en Pologne puis à Nice. Sa mère, une artiste, invente toutes sortes de subterfuges pour subvenir à leurs besoins. Ceux-ci sont importants, car elle rêve d'un grand avenir pour son fils chéri. Vers l'âge de huit ans, elle lui fait cette promesse : « Tu seras un héros, tu seras général, Gabriele d'Annunzio, ambassadeur de France ». C'est que le seul lieu possible d'une vie réussie est la France ! Elle rêve plus tard de lui en grand artiste, en écrivain égal de Victor Hugo, en Don Juan... Elle le lui dit. Elle fait tout quand elle le peut pour lui ouvrir la voie de cet avenir radieux. En bref : sa mère a une foi immense en l'avenir glorieux de son fils. A la fin de l'œuvre, on apprend que la mère, diabétique, se sachant condamnée à brève échéance, fait parvenir en pleine deuxième guerre mondiale quelques 200 lettres qu'elle a remises à une connaissance en Suisse pour qu'elles soient régulièrement envoyées à son cher Romain qui s'est engagé en faveur de la France Libre. Ce n'est qu'après la guerre que Romain découvrira que ces lettres lui étaient envoyées depuis trois ans de l'au-delà. Par ses succès à lui, Gary le laisse entendre, sa mère sera vengée du peu de succès qu'elle a connu pendant sa vie. Elle sera en particulier vengée de l'abandon dont elle a été l'objet de la part du père de Romain.
Ne pas décevoir sa mère
Romain est tout naturellement très attaché à cette mère dont il dépend en tout. Il va donc faire aussi naturellement toutes sortes d'efforts pour réaliser ces rêves maternels. Il échoue parfois. Alors la promesse l'incite toujours à persévérer ou à essayer d'autres voies. Plusieurs fois, il devra mentir à sa mère pour ne pas la décevoir. Quand elle le découvre, elle lui pardonne. Pour tous deux l'essentiel est la réalisation de la promesse. Peu à peu on découvre, en effet, que Gary fait sienne cette promesse, tant il a foi en elle. Il se l'approprie au point qu'elle devient une promesse qu'il se fait à lui-même. Du même coup elle devient la promesse faite à sa mère de mettre en œuvre la promesse que sa mère lui a faite. On sent bien qu'adolescent il eût facilement pu prendre ses distances à l'égard de cette folie maternelle. Ce n'est jamais le cas. Quand il ne réalise pas la promesse, ce n'est pas de sa responsabilité. Ce sont les circonstances qui sont adverses. Sans un amour filial très développé, sans une relation très forte entre un Je et un Tu, Romain aurait pu facilement tourner cette promesse en ridicule. Il aurait aussi pu se révolter contre un carcan insupportable que cette promesse et donc que sa mère lui imposaient. Il n'en fait rien parce que la promesse donne un sens à sa vie. Mais il y a plus que le seul contenu de la promesse. Comme Watzlawick et l'école de Palo Alto l'ont bien montré, dans toute communication, le contenu d'un message et la relation entre le destinateur et le destinataire sont également importants. Sans respect pour la promesse ET pour son auteur, Romain risquait fort de sombrer dans le non-sens, le désespoir, le nihilisme. Notons que l'on ne sait plus très bien si c'est la promesse qui a créé ce lien très spécial entre Romain et sa mère ou si Romain a tenu à mettre en œuvres cette promesse parce qu'il était préalablement terriblement attaché à sa mère. Dernière note : tout à la fin du récit, quand l'auteur sait sa mère décédée depuis trois ans, il laisse entendre qu'il vit toujours de cette promesse. Il lui faudra encore faire quelques efforts pour devenir effectivement ambassadeur de France et surtout un écrivain consacré (par deux prix Goncourt).
Promesse de valeur, de liberté, de vérité...
Romain Gary n'était pas chrétien. Il se reconnaît une origine juive par sa mère, (mythiquement) tatare par son père. Reste que cette foi en une promesse qui donne sens à une vie a bien des points communs avec la compréhension qu'un chrétien est invité à avoir de soi-même !
Au commencement du christianisme il y a aussi une promesse qui n'est pas celle que nous nous ferions, mais celle qu'on nous fait. Jésus s'adressant aux marginaux de son temps leur promettait qu'ils possédaient, sans condition à remplir, une infinie valeur aux yeux de son Père. En les guérissant il promettait la liberté à ceux qui étaient asservis à leur infirmités et à ce que l'on considérait comme des démons. Cette promesse ne s'adressait pas à ces seuls groupes particuliers d'individus. Une valeur inconditionnelle et une réelle liberté étaient promises à tout auditeur de Jésus. De même il promettait la possibilité de vivre dans la vérité, dans la joie, la paix, en plénitude de vie...
Confiance en la promesse
Pour que cette promesse se réalise il n'est rien besoin de faire d'autre que de faire confiance à celui qui la fait. Comme Romain Gary faisait confiance à sa mère que sa promesse n'était pas le résultat d'une douce folie, il faut faire confiance à Jésus que cette promesse qui se démarque radicalement de toutes les promesses jamais faites dans ce monde (à cause de son inconditionnalité) est une vraie promesse. Ici aussi le contenu n'est pas indépendant de la relation (ni du reste la relation à Jésus n'est indépendante du contenu de ce qu'il promettait).
Vivre de la promesse
Comme Romain, le chrétien est invité à s'approprier la promesse qui lui a été faite. Il lui faut « croire » tellement à la promesse qu'il doit vivre de cette promesse. Autrement dit, il ne peut faire autrement que tout mettre en œuvres pour qu'elle se réalise. Mais attention ! A la différence de Gary, pour un chrétien, les œuvres ne sont pas une condition à la réalisation de la promesse. Il lui faut justement ne rien faire pour que la promesse à laquelle il fait une totale confiance se réalise. Ce n'est pas lui qui la réalise, c'est Dieu qui seul peut la réaliser au travers de lui. La seule chose à « faire » est de faire confiance. Cette différence entre Gary et le chrétien découle du contenu des promesses qui les fait vivre. La promesse de la mère de Romain était conditionnelle : il fallait que le récipiendaire de la promesse fasse des efforts considérables pour qu'elle se réalise. La promesse qui nous est adressée en Jésus est promesse sans autre condition que la confiance qu'on lui fait et alors elle se réalise. De toute manière personne n'est capable de donner une réelle valeur, c'est-à-dire une valeur absolue, à sa propre vie. Personne n'est capable de se libérer de ses conditionnements, démons et autres asservissements. Personne n'est capable de vivre dans la vérité, d'être transparent à soi, de coller à soi...
Echecs
Romain Gary a connu des échecs dans la réalisation de la promesse que lui faisait sa mère. Le chrétien aussi en connaît régulièrement. Il ne lui faut en attribuer la responsabilité à personne d'autre qu'à lui-même. C'est lorsqu'il ne fait pas vraiment confiance à la promesse de Dieu qu'il en empêche la réalisation. Seuls ceux qui font totalement confiance à Dieu sont, en effet, libérés de la confiance qu'ils mettent naturellement en eux-mêmes, en autrui et dans les puissances de ce monde. Dès que l'on tente de participer à sa propre libération, on l'empêche. Il en va de même en ce qui concerne la reconnaissance de sa valeur. Dès qu'on veut donner une autre valeur, un autre sens à sa vie que le service de Celui qui reconnaît inconditionnellement notre valeur, on empêche sa vie d'avoir vraiment du sens.
Une promesse plus forte que la mort
Tout comme, quand la mère de Gary est décédée, elle a continué à lui envoyer des messages et que Gary a continué à mettre en œuvres la promesse parce qu'il lui restait attaché comme il restait attaché à celle qui la lui avait faite, le chrétien, quand celui qui lui avait transmis la promesse a été mis à mort (à cause de cette promesse), peut continuer de vivre de cette promesse par attachement à la personne de celui qui l'a lui a transmise et au travers de lui à la personne qui était le réel destinateur de cette promesse, le Père de Jésus.