Solo Christo
« Il y a un seul Dieu et aussi un seul intermédiaire entre Dieu et les humains : l'humain Jésus-Christ » écrivait l'auteur de la première lettre à Timothée (2.5). Cette manière de comprendre notre relation à Dieu est aujourd'hui contestée. On estime allègrement qu'il faut se donner d'autres médiations entre Dieu et nous que le seul intermédiaire Jésus de Nazareth confessé comme le Christ.
L'enjeu
Qu'est-ce qui donc ne peut advenir « que par l'intermédiaire du Christ », solo Christo ? Historiquement parlant, les Réformes protestantes entendaient surtout la possibilité de s'adresser à Dieu. Seul le Christ et non les saints permettent cette relation. Pourtant quand on parle d'intermédiaire et de relation, on n'entend en général pas une relation à sens unique. C'est ainsi qu'il faut aussi comprendre le principe du Solo Christo comme concernant notre possible connaissance de Dieu. On ne peut connaître Dieu et s'adresser à Dieu que par l'intermédiaire du Christ. La problématique actuelle est cependant davantage celle de l'accès à la connaissance de Dieu que celle de l'intercession des saints, même si celle-ci reste un problème dans les relations interconfessionnelles. A l'époque de la mondialisation, le problème des relations entre les religions qui toutes proposent un accès différent à l'Absolu est, par exemple, primordial. Je me permettrai donc de me cantonner, en un premier temps en tout cas, à cette idée de la connaissance de Dieu par le seul Christ, Jésus.
Des figures du Christ un peu partout ?
La mode étant à la tolérance, on en déduit qu'il doit y avoir une part de vérité dans toutes les religions. On affirme donc que toutes offrent un accès au divin certes original, mais complémentaire avec celui offert par les autres religions. On imagine dès lors que la figure du Christ n'appartiendrait pas en propre au christianisme. On trouverait des figures diverses d'un seul et même Christ dans à peu près toutes les religions. Qu'est-ce alors qu'un Christ ? Précisément un intermédiaire permettant d'accéder à Dieu. De même, assène-t-on, que Moïse et les prophètes de l'Ancien Testament préfigurent Jésus en matière d'accès à la connaissance de Dieu et de sa volonté, de même on retrouve en Bouddha, Mahomet, Confucius, Socrate ou Ron Hubbard des prophètes donnant également accès à Dieu. Il y a plusieurs chemins pour accéder au sommet de la montagne, image-t-on.
Gommer les différences ?
Le problème avec cette manière tolérante de chercher à faire converger toutes les religions, c'est qu'elle ne prend pas en compte les différences parfois insurmontables qui existent entre elles. Elles ne tiennent compte que de leurs ressemblances, de leur plus petit dénominateur commun. Elles ne prennent particulièrement pas en compte que, pour les chrétiens, le Christ ne les aide pas à gravir la montagne pour accéder à la vérité, à la liberté, à la justification ou au sens de leur vie. Le Christ leur annonce au contraire que, gracieusement, tout cela leur est offert ici et maintenant. Il faudra revenir dans un blog consacré au principe de la sola gratia (par la seule grâce) à ce qui représente, pour moi et pour un certain nombre de chrétiens, une incompatibilité fondamentale entre le christianisme et les autres religions. Pour l'instant retenons qu'aux yeux de ces chrétiens attachés à cette grâce première, il n'est qu'un lieu où recevoir la vraie vie : Jésus de Nazareth. L'évangile de Jean le met du reste dans la bouche de Jésus qui affirme que le chemin de la vraie vie, c'est lui (et personne d'autre) (Jean 14.6)
Intolérance ?
J'entends déjà les hauts cris que cette affirmation fait surgir. Un tel christianisme bafoue la tolérance ! Il se contredit donc lui-même ! Réponses : d'abord, la tolérance, si respectable soit-elle, ne peut être un principe absolu. En effet, elle ne peut prôner la tolérance à l'égard des intolérants sous peine de voir ses défenseurs anéantis. Ensuite, affirmer que Jésus est pour moi le seul accès à la vérité à propos de Dieu et de ma vie n'implique pas que je me lance dans une guerre de religions. Je ne vais pas pour autant me mettre à interdire la pratique de leur religion – par exemple l'édification de minarets ! – à ceux qui ne pensent pas la même chose que moi en matière de médiation religieuse. Je sais trop que ma foi comme toute foi relève d'une décision purement personnelle, donc subjective. Elle ne saurait être imposée à qui que ce soit. Cela, il nous faudra y revenir dans un blog consacré au principe protestant de la sola fide (par la foi seule).
Contre la théologie naturelle
L'indifférenciation fondamentale entre toutes les religions et l'intercession des saints ne sont toutefois pas les seuls fronts polémiques du principe solo Christo. Il dénonce aussi la possibilité d'édifier ce qu'il est convenu d'appeler une théologie naturelle. De quoi s'agit-il ? de la prétention de pouvoir connaître Dieu indépendamment de toute religion ou pour le moins d'en avoir une première appréhension par la raison, appréhension que les religions viendront peut-être confirmer ou compléter. Alors la raison est en quelque sorte – avec ou sans le Christ, Mahomet ou Zoroastre – médiatrice : elle offre une possibilité de connaître Dieu. Cet accès rationnel à Dieu se confond souvent avec les preuves de son existence. En prouvant l'existence de Dieu, on définit, en effet, rationnellement un certain nombre de choses à son propos ou utilise une connaissance de Dieu obtenue via la raison.
Les preuves de l'existence de Dieu
Elles sont de deux ordres. Dans un premier cas on part de la connaissance que l'on a du monde pour en déduire l'existence et certaines caractéristiques de Dieu. Ainsi, puisque tout en ce monde à une cause, il faut bien qu'il y ait une cause première. On identifie alors cette cause première avec le dieu créateur de toutes choses. Ou bien le monde qui nous entoure possède une organisation si extraordinaire que seul un être d'une incomparable intelligence a pu imaginer et penser une telle merveille. Dieu est un créateur génial... Il existe toutefois d'autres preuves en particulier celle que l'on appelle la preuve ontologique. Elle part non de la création pour arriver à son créateur, mais du concept de Dieu. Un dieu pour être dieu doit être un être dont je ne puis pas penser qu'il en existe de plus parfait. Or, pour être parfait, il faut que Dieu possède toutes les qualités, y compris celle d'exister. Donc Dieu existe et est l'être qui élève à son paroxysme toutes les qualités positives que l'on connaît en ce monde. Remarquons que derrière ce dernier raisonnement, on trouve la conviction qu'on peut connaître Dieu par analogie. Dieu est, pour faire court analogue à ce qu'il y de plus éminent dans le monde.
Critiques à la théologie naturelle
A propos de la cause première, pourquoi faut-il à un moment donner s'arrêter dans la chaîne des causes et affirmer qu'existerait une cause première ? Est-ce dû aux limites de mon cerveau et de ma patience ou bien l'univers est-il réellement fini ? Ensuite, si Dieu est la cause de tout, il est de manière problématique aussi cause de tout ce qui, sans que les humains en soient responsables, nous fait souffrir dans le monde. De même, s'il est l'être le plus intelligent qui soit, comment se fait-il qu'il ait conçu un monde si imparfait que nous devions y souffrir si souvent ? Ou bien ; si dieu est la cause de tout et s'il est une intelligence magnifique, ce n'est pas encore un être personnel comme celui dont nous parle Jésus, Moïse ou Mahomet. Par exemple: en quoi une parfaite intelligence peut-elle pardonner donc oublier ?
A propos de la preuve ontologique, les critiques sont un peu différentes. Cette preuve pose donc que, si Dieu est l'être le plus parfait qui soit, il doit posséder tous les attributs, y compris l'existence. Or dire de Dieu qu'il est l'être le plus parfait est une proposition analytique. Elle explicite ce qu'est le concept « dieu », tout comme la phrase « un triangle possède trois angles et trois côtés » explicite le concept « triangle ». Une telle analyse du concept « dieu » ne nous renseigne en rien sur l'existence ou la non-existence de Dieu. Elle nous dit au mieux que, si Dieu existait, il devrait exister ! Il appert que l'existence n'est pas une qualité à moins qu'on puisse la constater d'expérience.
Autre contre-argument : imaginons un être maléfique comme on n'en a jamais rencontré : le plus diabolique des diables. En suivant le raisonnement de la preuve ontologique, un diable encore plus diabolique que celui que j'imagine devrait exister : le plus diabolique des diables qui n'existerait pas seulement dans mon imagination, mais dans la réalité. N'est-ce pas assez gênant que j'aie ainsi construit une religion dualiste, à condition bien sûr que le raisonnement de la preuve ontologique se tienne ?
Encore un autre contre-argument : j'imagine qu'existe l'amant le plus désirable qui soit. Il est beau, il manie excellemment toutes les techniques érotiques, il est ultra-riche, il est intelligent, il est sage, il est sobre, il possède un nombre incalculable d'amis plus sympathiques les uns que les autres... Je mets sur un site de rencontre cette description de mon amant idéal et pendant des années ne reçoit aucune réponse. Personne ne correspond à ma description et pourtant je suis persuadée que cet amant existe puisque en plus de toutes ces qualités, il possède bien entendu l'existence pour pouvoir être le plus adorable des amants que je puisse imaginer...
On est en droit de conclure de ces critiques adressées à l'accès rationnel à la réalité de Dieu que Dieu, si jamais il existe, ne peut être connu en dehors d'une révélation. Et pour un chrétien, la seule révélation qui permette d'opérer le tri entre toutes les représentations de Dieu que l'on se fait dans les diverses religions – qui toutes supposent une révélation du ou des dieux – est celle qui a eu lieu en Jésus de Nazareth confessé comme le Christ. Reste une question qu'il nous faudra discuter dans un prochain blog : celle des moyens à notre disposition pour être certain d'avoir accès à ce Christ, lui même seul accès possible à Dieu. Ce sera l'occasion de revenir sur le principe protestant de la sola scriptura.