La sexualité des migrants au défi de la vulnérabilité

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La sexualité des migrants au défi de la vulnérabilité

Difficultés
Selon l’OMS, «la santé sexuelle est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social». Des caractéristiques bien loin de s’appliquer à la vie des migrant·es, qui vivent une tout autre réalité, notamment celle de la vulnérabilité.

Place du Ring, au coeur de la vieille ville de Bienne, se niche «le Forum des questions actuelles» de la paroisse réformée germanophone. Dans ce lieu bien connu des Biennois·es, on aborde les problématiques contemporaines en invitant des communautés et des organisations à créer des espaces de dialogue. C’est là que travaille Noël Tshibangu, ancien demandeur d’asile et aujourd’hui responsable d’études et chef de projets. Son rôle: étudier la «sexualité dans le contexte ecclésial». A son actif, entre autres, le document «Le mariage pour tous», réalisé avec l’aide d’une équipe de douze personnes.

Depuis 2020, Noël Tshibangu oeuvre avec des Eglises de la migration sur la base d’un projet lancé en 2011. L’occasion pour lui d’entrer en contact avec des communautés peu enclines à parler de sexualité. «Dans la phase exploratoire, nous avons abordé un sujet brûlant, celui de l’homosexualité. Des différences d’appréciation se sont vite révélées, notamment sur la question de l’acceptation des homosexuel·les dans l’Eglise réformée et, dans un deuxième temps, le fait de reconnaître l’existence des personnes homosexuelles parmi les Africain·es.» C’est au travers de témoignages que les migrant·es ont pu écouter et rencontrer des personnes homosexuelles et déjouer quelques tabous.

Les tabous ont la vie dure

Autre point abordé: la relation sexuelle au sein du couple. Le dialogue est peu présent, voire inexistant. «Parfois, les couples s’en réfèrent au pasteur pour trancher: est-ce que la fellation est chrétienne? Doivent-ils s’y adonner?», explique Noël Tshibangu. Parfois, les épouses s’en remettent à un exorciste pour les aider, estimant que ces pratiques sont diaboliques. Il est vrai qu’en matière de sexualité, les tabous ont la vie dure et l’approche entamée auprès des Eglises de la migration constitue un travail au long cours. «Notre objectif est de briser les tabous autour de la sexualité, en dehors de l’acte ou du rapport sexuel. Nous voulons rétablir d’autres aspects de la sexualité non visibles par toutes et tous, et surtout non valorisés», note Noël Tshibangu.

De manière plus large, la sexualité des migrant·es a fait l’objet d’une recherche de la Confédération, qui a publié «Migration et facteurs de vulnérabilité» à l’adresse des professionnel·les et des organismes. Par «vulnérabilité», on entend les difficultés matérielles, psychosociales, économiques, de compréhension linguistique, les influences culturelles et religieuses, le niveau de formation élémentaire, l’isolement social et émotionnel… Bref, tout un florilège de défis à relever et d’empêchements à combattre pour atteindre l’épanouissement sexuel. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), «la santé sexuelle est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social en matière de sexualité. Ce n’est pas seulement l’absence de maladie, de dysfonctionnement ou d’infirmité. La santé sexuelle exige une approche positive et respectueuse».

Le document fait également mention des facteurs de vulnérabilité renforcée. Ces derniers concernent les travailleurs et travailleuses du sexe, les personnes atteintes du VIH ou celles qui vivent des violences sexuelles, les femmes ayant subi des mutilations génitales, des grossesses non désirées et les personnes sans statut de séjour stable… Autant de facteurs encore et toujours affaiblissants. Certes, les pistes pour sortir de l’engrenage sont parfois si complexes qu’il est difficile aujourd’hui de parler d’un chemin vers un épanouissement sexuel pour l’ensemble des personnes migrantes.

Noël TshibanguNoël Tshibangu, directeur d’études et chef de projets au cercle de travail pour les questions contemporaines.