A propos de notre résurrection

Vitrail de la résurrection des morts Ste Chapelle
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Vitrail de la résurrection des morts Ste Chapelle

A propos de notre résurrection

Par Jean-Denis Kraege
1 avril 2024

Historiquement, la certitude que Dieu ressuscite les morts précède dans le judaïsme de quelques siècles la résurrection de Jésus. La résurrection de Jésus n'était donc pas nécessaire à l'idée que Dieu peut nous ressusciter. La Pâques chrétienne n'est en rien une preuve non plus de ce que la résurrection est bel et bien possible1. L'intention des premiers chrétiens en parlant de la résurrection de Jésus était d'interpréter paradoxalement la croix et pas de fonder la résurrection des morts en général2. Ce fut indirectement le cas lorsque Paul dut défendre la résurrection des morts en général à l'intention des Corinthiens (I Corinthiens 15.12ss.).

Quel fondement à la certitude de notre résurrection ?

Si on ne fonde pas l'idée de notre résurrection par Dieu sur celle de Jésus, quel fondement pouvons-nous donner à l'idée de notre résurrection ? Depuis que Jésus est venu nous révéler que Dieu ne raisonne pas en termes de donnant-donnant, nous ne pouvons plus, comme le faisaient les Juifs depuis les Macchabées, penser que la résurrection est nécessaire à la rétribution dans l'au-delà de justes qui n'ont pu être récompensés de leur vivant. En quoi la parole essentielle que Jésus est venu nous dire de la part de Dieu – le kérygme – est-elle alors un fondement possible à notre certitude que ce n'est pas la mort, mais Dieu qui a le dernier mots sur nos vies ?

Repartir du kérygme

La parole que Dieu nous dit fondamentalement en Jésus, c'est que nous valons infiniment à ses yeux. Cette parole nous constitue comme personne. Elle « suscite » notre personne. Elle fait de nous un Tu en face du Je de Dieu. Cette parole qui nous suscite comme personne ne va pas de soi. Personne ne peut donner de preuve de sa véracité. La seule « preuve » que je puisse en donner, c'est que j'en fasse quelque chose dans ma vie. C'est qu'elle me fasse vivre. Mais je puis tout aussi légitimement lui faire confiance que me défier d'elle. Cette parole me disant ma valeur me fait, si je l'accepte comme vraie, me reconnaître voulu par Dieu. Dieu a besoin de moi dans son combat contre le mal. Or, si j'ai une valeur infinie pour Dieu, si je suis un Tu pour Dieu, s'il m'invite à collaborer à sa lutte contre tout ce qui est négatif, s'il m'engage dans son projet qui dépasse tous les temps, pourquoi me jetterait-il comme un vulgaire outil après usage ? On peut dire la même chose de manière un peu différente : si j'accepte le fait d'avoir une valeur absolue pour Dieu, Dieu a une valeur absolue pour moi. Ce n'est pas la mort qui possède cette valeur absolue alors que, si Dieu n'était pas mon absolu, la mort serait la seule certitude absolue de ma vie. Si je participe au projet de Dieu, rien ne peut obturer mon avenir. Envers et contre tout, l'avenir est ouvert, car il appartient à Dieu, non aux humains, non aux virus, non à l'entropie, non à la mort. Même dans un camp d'extermination, l'avenir reste alors ouvert.

Résurrection ou immortalité de l'âme ?

L'idée de résurrection ne s'oppose pas seulement à celle que la mort aurait le dernier mot sur nos vies. Elle s'oppose aussi à l'idée que nous aurions une âme immortelle. Cette idée est bien représentée dans de très nombreuses compréhensions de soi que les humains ont développées de par le monde. Mais les sceptiques – dont en particulier Michel de Montaigne – ont fait remarquer depuis belle lurette les apories de la doctrine de l'immortalité de l'âme. Où était mon âme avant ma naissance ? Dans un autre être humain, animal, voire végétal ? Mais pourquoi n'en ai-je aucune souvenir ? Que faisaient les âmes avant la création du monde ? Que se passe-t-il si le nombre d'êtres animés diminue (ou augmente) dans le monde ? Où les âmes sont-elles logées avant notre naissance et après notre mort ? Qu'est-ce qu'une âme qui n'aurait plus aucun accès au monde par le corps et ses sens ? Etc. etc.

J'aime personnellement à penser avec Saint Exupéry que nous ne sommes que des nœuds de relations (Pilote de guerre). Si, quand nous mourons, notre relation au monde physique prend peu à peu fin, si notre relation au monde culturel fait de même, si notre relation à autrui disparaît et si notre relation à nous-mêmes semble bien ne plus exister (parfois bien avant notre mort physique), que reste-t-il de nous ? Rien sinon notre relation à Dieu, dans la mesure du moins où nous pensons qu'elle existe.

Si l'on passe maintenant de la philosophie sceptique à la théologie, les questions et remises en question continuent également à pleuvoir ! Comment pourrait-il y avoir quelque chose d'immortel en nous si nous sommes des créatures ? Comment pourrions-nous être immortel si nous avons un début, si Dieu a voulu que nous existions individuellement ? On peut bien entendu penser que Dieu ait insufflé une âme immortelle en nous lors de notre conception. Mais cela ferait de nous des êtres absolus, des dieux. Lui qui ne voulait pas que nous soyons « comme des dieux », le voilà qui aurait fait de nous des dieux... Et encore une fois : où était cette âme avant d'être insérée en nous si elle est vraiment immortelle ? Nous sommes mortels comme tout ce qui se trouve dans l'univers. Les étoiles meurent bien, pourquoi pas nous ? On pourrait aussi imaginer que Dieu rende immortelle les personnes qui mettent toute leur confiance en Lui. Mais cela signifierait que Dieu rétribue les croyants et laisse les autres à leur éternelle mortalité. Est-ce compatible avec la grâce inconditionnelle ? Cette dernière réflexion nous conduit à nous demander qui ressuscite ainsi qu'à aborder les questions connexes concernant le moment de la résurrection, ses modalités

Quae supra nos, nihil ad nos (Ce qui est au-dessus de nous ne nous concerne pas)

Les écrits du Nouveau Testament ne nous donnent aucune indication précise sur qui ressuscite. Est-ce tous le monde ? Sont-ce les seuls croyants ? Tous sont-ils pardonnés ? Là aussi seuls les croyants le sont-ils? Nous n'avons aucune base sérieuse pour nous prononcer. Tout ou presque peut être tiré de tel passage de la Bible ou de tel autre. Sur la base de la déclaration d'amour inconditionnel que Dieu nous a faite en Jésus, je pencherais personnellement pour un pardon généralisé. Il faudra un autre blog pour préciser mes raisons. Mais simultanément, quelle importance une réponse à cette question a-t-elle pour chacun de nous dans notre présent ? Aucune ! L'important n'est-il pas d'avoir la certitude que l'avenir n'est pas bouché, car il appartient à Dieu ? L'important n'est-il pas de se savoir promis à la résurrection dès lors que je suis croyant ? Quelle importance de savoir si des personnes incroyantes que j'apprécie beaucoup ressusciteront ou non, seront pardonnées ou non ? C'est une affaire entre elles et Dieu. La seule chose qui importe, c'est que je sois témoin auprès de ces personnes de l'amour inconditionnel que Dieu leur porte. Et s'il faut accepter que « ces choses qui sont au-dessus de nous, ne nous concernent en rien » (Luther, Du Serf Arbitre), il en va de même en ce qui concerne le moment de la résurrection (juste après notre trépas ? à la fin des temps ?...), du lieu de cette résurrection ou encore de ses modalités (qu'est-ce que le corps spirituel dont parle, par exemple, l'apôtre Paul?).

Ce qui importe

Une seule chose importe donc : de pouvoir vivre ici et maintenant de la certitude que l'avenir appartient à Dieu, non à la mort. Par ailleurs il importe aussi de nous reconnaître mortels. Nous n'avons rien de divin ou d'absolu ou d'éternel en nous. De même que Dieu nous a suscités à notre conception, il est à même de nous ressusciter après notre mort sans que nous puissions imaginer quel sera alors notre mode d'existence. On m'objectera ici que, si je meurs complètement, à partir de quoi Dieu me ressuscitera-t-il ? A partir du souvenir qu'il a de moi, de ce qui est écrit de moi dans ses livres (Psaume 69.29, Philippiens 4.3 ; Apocalypse 3.5, 13.8, 20.12, 21.27). L'essentiel est de lui faire confiance. L'avenir lui appartient et nous ne le maîtrisons en rien !

 

 

 

1cf. mon autre blog://www.reformes.ch/blog/jean-denis-kraege/2023/04/la-resurrection-de-jesus-et-la-notre

2https://www.reformes.ch/blog/jean-denis-kraege/2024/03/la-croix-un-mauvais-moment-passer