Analyse du fondamentalisme
Signification du mot fondamentalisme
Le fondamentalisme peut être défini comme une forme excessivement rigide de la pensée humaine, qui se fige sur un certain nombre de concepts estimés fondamentaux et inaliénables, en excluant toutes les autres formes de pensée. Il s’agit d’une étroitesse d’esprit à la fois psychologique, cognitive, sociale et culturelle qui peut apparaître dans n’importe quel domaine de l’existence humaine, mais qui se manifeste surtout sur les plans religieux, politiques et scientifiques, en combinant parfois plusieurs de ces aspects.
Il existe un fondamentalisme scientifique, qui jette son dévolu sur la science au point de manifester de l’hostilité envers toute croyance religieuse. Le nouvel athéisme, qui se développe surtout dans les pays anglo-saxons, prétend tout expliquer à partir des sciences physiques et biologiques, et considère les paradigmes et les hypothèses nécessaires à la science comme des vérités définitivement acquises. Inversement, le fondamentalisme protestant prétend tout expliquer à partir de la Bible, en refusant toute influence des découvertes scientifiques sur sa vision du monde. L’amalgame avec le fondamentalisme politique peut donner lieu à des formes dangereuses d’intégrisme culturel et nationaliste.
Le fondamentaliste pense que sa manière de vivre et de penser est la seule vraie. Il se montre incapable d’apprécier les valeurs d’autres cultures que la sienne. Il considère que si tout le monde adoptait son point de vue, tous les problèmes de l’humanité seraient résolus. En soi, le fondamentalisme nous guette tous, dans la mesure où nous avons de la difficulté à reconnaître les manquements de notre propre système de valeurs, et nous critiquons trop radicalement les autres modes de vie. Il existe un fondamentalisme anti-fondamentaliste, qui réagit contre toute affirmation de convictions religieuses, scientifiques ou politiques. Dans le monde protestant, les divisions entre fondamentalistes et libéraux ont causé depuis deux siècles bien des blessures, et nul protestant n’en est complètement indemne.
Signalons enfin que l’être humain, au-delà de sa nature biologique, a besoin de fondements cognitifs pour vivre, son cerveau devant être formé par l’éducation. Cette configuration culturelle de base est nécessaire, mais elle peut à l’âge adulte induire un manque de flexibilité. Une forme positive de « fondamentalisme » constitue donc toute vie humaine, mais dans son usage courant, le terme désigne plutôt une attitude problématique, qui s’apparente au fanatisme, à l’intégrisme, au terrorisme, au totalitarisme, au scientisme, au littéralisme, au biblicisme, au revivalisme, au créationnisme, etc.
Ressorts psychologiques et sociaux du fondamentalisme religieux
La plupart du temps, l’attitude fondamentaliste n’est pas consciemment choisie. Elle représente une forme naïve de piété, qui provient soit d’un manque d’expérience, à la suite d’une conversion soudaine, soit d’un vécu de longue durée, notamment depuis l’enfance, dans un milieu religieux fermé et donc mono-culturel. Par la suite, les crises religieuses liées à certaines épreuves de la vie peuvent remettre en cause les croyances établies. Surmonter sa peur de l’inconnu, pour un chrétien, consiste par exemple à découvrir la valeur spirituelle de la méditation d’inspiration bouddhiste, ce qui ne signifie pas devenir bouddhiste.
Le fondamentalisme est fréquemment lié à un intense besoin de se rassurer. Dans ce cas, la moindre contestation de son système de croyances est source d’angoisse et de rejet. Malheureusement, la Bible chrétienne se prête facilement à une lecture fondamentaliste, car ses visions englobent l’ensemble de la vie humaine : Jésus est à la fois celui qui dirige ma vie, qui m’instruit dans la vérité, qui me révèle qui je suis, qui me pardonne, qui me sauve du mal et de la mort, qui m’aime infiniment et me conduit au Père dans la vie éternelle. En elles-mêmes, ces vérités de la foi sont éminemment positives. C’est ce qui les rend captivantes, émotionnellement et intellectuellement. Que peut-on vouloir de plus que Jésus ? Mais à ce stade, le piège fondamentaliste peut se refermer. La personne se convainc désormais que toutes les autres valeurs sont vaines : La philosophie, la psychologie, les arts, l’histoire des civilisations et des religions, les sciences, les techniques, la médecine, les recherches académiques, l’esprit démocratique, etc. font pâle figure face à la toute-puissance de Jésus.
En théorie, on peut considérer que les groupes religieux élaborent des codes rituels et linguistiques pour se comprendre et partager leur foi. Dans ce sens, la Bible aussi est un code. Par conséquent, entre les divers codes religieux, l’échange devient plus délicat, comme entre personnes ne parlant pas la même langue. Ainsi naît la tentation soit de s’enfermer dans sa croyance sectaire, soit d’imposer sa croyance aux autres par la force.
Caractéristiques du fondamentalisme protestant
Trois principes intimement reliés permettent de définir un canevas du fondamentalisme protestant, utile à sa compréhension, mais qui ne correspondra pas à tous les points de vue de chaque croyant en particulier. Il ne faut pas identifier le fondamentalisme protestant avec les Eglises évangéliques, qui manifestent entre elles de grandes différences de doctrine et de piété. Mais il est vrai que les idées fondamentalistes se retrouvent plus fréquemment et plus intensément dans les milieux ecclésiaux dit « évangéliques ». Historiquement, le terme « fondamentalisme » remonte à 1920, lorsque l’éditeur baptiste américain Curtis Lee Laws désigna comme fondamentalistes les défenseurs du contenu théologique de douze fascicules parus entre 1910 et 1920 intitulés The Fundamentals : A Testimony to the Truth (fr. Les fondamentaux : Un témoignage à la vérité), publiés en réaction aux théologiens libéraux, et notamment à leur acceptation de la théorie de l’évolution de Charles Darwin.
Perfection et auto-suffisance de la Bible
Le premier principe concerne le rapport à la vérité. Dans une perspective fondamentaliste, Dieu seul révèle sa vérité au croyant, par conséquent, elle est pour lui une certitude objective qui ne doit pas être discutée, mais affirmée. La Parole de Dieu n’est pas seulement le Christ, comme il est écrit dans le prologue de l’Evangile de Jean que « la Parole a été faite chair », mais elle s’applique à l’Ecriture elle-même. La Bible devient un Christ en papier. Elle doit être crue comme on croit le Christ, dans sa perfection et son auto-suffisance. Par conséquent, une lecture critique des textes bibliques n’est plus possible. On ne peut pas remettre en question l’historicité de certains récits, en particulier ceux qui relatent des miracles, ni différencier les approches théologiques d’un livre biblique à l’autre.
Le fondamentalisme se situe dans une logique de tout ou rien. Etant donné que la Bible est divine, elle ne peut contenir aucune erreur (inerrance), aucune imprécision (pas même une virgule), ni aucune difficulté de compréhension. Ainsi, la réflexion théologique ne peut pas être acceptée, car elle suppose que quelque chose n’est pas entièrement explicite dans les Ecritures, et qu’il faut donc se mettre à les étudier pour les comprendre. Tout se passe comme si les fondamentalistes considéraient la Bible comme l’unique livre « scientifique » par excellence, contenant déjà tout ce que les sciences modernes essayent de découvrir par des moyens humains, c’est-à-dire faussement. Sans se rendre compte de leur anachronisme, les fondamentalistes appliquent à la Bible les principes d’exactitude expérimentale des sciences modernes, qui étaient méconnus des auteurs bibliques.
Miracles bibliques versus science moderne
Leur conception « scientifique » de la Bible conduit les fondamentalistes à considérer les miracles comme des faits historiques objectifs. Ceux-ci manifestent la force surnaturelle de « la main » de Dieu sur le monde. Les miracles sont donc tout autant incontestables que les lois physiques. Toute réflexion intellectuelle à leur sujet est perçue comme une contestation d’emblée verrouillée par le raisonnement circulaire selon lequel les miracles sont vrais puisqu’ils sont écrits dans Bible, qui est elle-même confirmée par les miracles.
De ce fait, le débat avec les sciences modernes se réduit à une lutte du supranaturalisme biblique contre le rationalisme moderne, incapable de saisir la puissance et l’autorité de la Parole de Dieu. Tout écart avec les sciences modernes se solde d’emblée, sans discussion, en faveur de la vérité biblique. Il s’ensuit un dialogue impossible, la plupart du temps biaisé, notamment dans les domaines sensibles de la physique fondamentale, de l’astrophysique, de la biologie évolutionniste, de la médecine, de la psychiatrie, de la psychologie, des sciences sociales, de l’histoire des religions et de l’histoire politique.
Si l’insistance du fondamentalisme au sujet des miracles est si centrale et incontournable, c’est parce que par essence, il tend systématiquement à confier à Dieu la résolution surnaturelle des problèmes de la vie, car seule une complète soumission à la volonté divine est source de salut. Les sciences modernes se trompent donc de méthode, en cherchant des solutions expérimentales aux problèmes humains. Seule l’intelligence divine est pertinente, la pensée humaine se fourvoie constamment dans ses recherches.
Fin du monde et extrémisme politique
La conséquence politique de cette défiance fondamentaliste envers toutes les facultés humaines est sa perte complète de confiance en l’avenir des sociétés modernes laïcisées, lesquelles, sans Dieu, courent à leur perte. Il est logique, désormais, que la fin du monde soit proche, et que les prédictions des prophéties apocalyptiques de la Bible soient sur le point de se réaliser. Plus le monde s’écarte de Dieu, plus le retour du Christ est imminent.
Ici, ce n’est pas la critique en tant que telle des sociétés modernes qui est contestable, mais sa radicalité, son jugement entièrement négatif des sociétés en perdition. L’individualisme, qui caractérise la modernité démocratique, est garant de la liberté d’opinion, d’expression et d’entreprise, ainsi que des droits fondamentaux des personnes, mais il est aussi en partie responsable de l’indifférence à autrui, de la mauvaise répartition des richesses sur Terre et des conséquences écologiques du néocapitalisme. Cependant, peindre l’avenir totalement en noir n’est pas la bonne solution, car il y a aussi des acquis positifs.
La vision entièrement dégénérative de l’histoire mondiale a deux conséquences sur le plan politique. Dans un premier temps, le repli sur soi des Eglises fondamentalistes est renforcé, car il paraît vain à leurs membres de gaspiller leur temps et leur énergie à tenter d’infléchir le cours de l’histoire humaine, voué de toute manière à son proche anéantissement. Cependant, dans un second temps, le fondamentalisme religieux, quel que soit son horizon culturel, tend à accorder plus de crédit aux politiques autoritaires, plus ou moins expressément anti-démocratiques, car leur esprit moralisateur et réprobateur s’accorde mieux avec le radicalisme religieux. Il faut toutefois préciser que les membres des Eglises de tendance fondamentaliste restent partagés sur ces questions, certains d’entre eux se tournant davantage vers le socialisme et l’écologisme militants que vers l’extrême droite.
Il n’en reste pas moins que l’allégeance croissante des milieux fondamentalistes religieux, notamment aux Etats-Unis et en Russie, à des politiciens populistes, qui s’érigent en guides rassembleurs et restaurateurs de la nation et nourrissent les réflexes religieux et dictatoriaux les plus primaires, constitue une réelle menace pour la paix dans le monde.
Alternatives au fondamentalisme protestant
Il convient de clore cette analyse du fondamentalisme protestant en présentant quelques alternatives à une lecture fondamentaliste de la Bible, et en particulier de l’Evangile. Trois aspects de l’attitude de Jésus, telle qu’elle est décrite dans les quatre Evangiles du Nouveau Testament, s’écartent clairement d’une disposition religieuse fondamentaliste.
Premièrement, Jésus a enseigné une interprétation personnelle et originale de la Bible juive. Il ne l’a pas du tout appliquée à la lettre, mais a cherché à en dégager l’essentiel « en esprit et en vérité », n’hésitant pas à en critiquer certains aspects, et à ajouter de nouvelles dimensions spirituelles, comme le don de soi, la priorité accordée aux exclus de la société, la condamnation du moralisme, la lutte contre l’autoritarisme religieux, la guérison des maladies physiques et psychiques, la proximité de Dieu et l’espérance en la vie éternelle.
Deuxièmement, Jésus a invité les personnes qu’il rencontrait à s’affranchir de leurs héritages religieux, culturels et familiaux, lorsque ces derniers représentaient une entrave à leur développement personnel. Il a rendu le gens libres et responsables de (re)construire leur vie en tenant compte de leurs limites et de leurs talents. Il est fort probable que cette indépendance spirituelle que Jésus a manifestée vis-à-vis de sa propre tradition religieuse soit à l’origine de son rejet par les élites. Il est notoire que les responsables de sa condamnation à mort ne sont ni les athées ni les agnostiques, mais les éléments les plus fondamentalistes du judaïsme de son époque.
Troisièmement, au travers de son activité de guérisseur et d’exorciste, Jésus a développé une vision de l’être humain qui réunit les dimensions corporelle, psychique et spirituelle. Il a notamment montré comment la culpabilité ou le rejet, lorsqu’ils dominent une vie, peuvent conduire à la dépression, à la maladie et à l’infirmité. Dans ce sens, Jésus figure au nombre des précurseurs de la médecine, de la psychologie et de la spiritualité modernes, prenant en compte les divers aspects de l’humain dans un esprit d’attention et de libre investigation.
Autres articles sur le net au sujet du fondamentalisme :
Fondamentalisme — Wikipédia (wikipedia.org)
Regard d’un libéral sur le fondamentalisme (andregounelle.fr)
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