Véronique Egger redonne son prénom à chaque exilé

Véronique Egger, aumônière à la retraite de l'Eglise protestante de Genève à Agora / Eddy Mottaz / Le Temps
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Véronique Egger, aumônière à la retraite de l'Eglise protestante de Genève à Agora
Eddy Mottaz / Le Temps

Véronique Egger redonne son prénom à chaque exilé

19 février 2024
A 76 ans, cette aumônière à la retraite poursuit son engagement auprès des réfugiés et requérants d’asile à l’aéroport et dans les centres de détention administrative.

Il est des anecdotes qui agissent comme des rêves prémonitoires. Ainsi du rapport aux frontières qu’entretient Véronique Egger, aumônière pendant plus de trente ans à l’Aumônerie genevoise œcuménique auprès des requérants d'asile et des réfugiés (Agora). «Quand j’étais petite, on devait traverser la frontière allemande pour rejoindre Schaffhouse», raconte cette dynamique retraitée, originaire du petit village de Dörflingen, à une dizaine de kilomètres du chef-lieu cantonal.

Ses parents tiennent alors la poste du village, et c’est non sans plaisir que la jeune fille aide à la distribution du courrier. Aller à la rencontre de l’autre, aussi différent soit-il, résonnera d’ailleurs comme un leitmotiv dans la vie de Véronique Egger. Son diplôme de laborantine chimiste en poche, elle s’élance avec trois amis dans un véritable road-trip en jeep à travers tout le continent africain, où elle fait notamment la connaissance d’une peuplade pygmée. «Le fait de ne pas parler la même langue n’a jamais été un problème. Quand on a envie de communiquer, on en trouve toujours les moyens», assure-t-elle. Suivra encore un périple d’une année en Amérique latine.

Malheurs du monde

Un brin rebelle, Véronique Egger n’a d’ailleurs jamais eu peur de descendre dans la rue pour les causes qu’elle croit justes. Ainsi, dès l’âge adulte, elle prend part aux malheurs du monde, lors d’un sitting nocturne en protestation à la construction d’une centrale nucléaire ou à l’occasion d’une manifestation devant le consulat d’Argentine avec les «foulards blancs», du nom de ces mères à la recherche de leurs enfants disparus durant la dictature.

C’est donc tout naturellement que cette Genevoise d’adoption et chrétienne convaincue accepte d’entrer au conseil de l’Agora lors de sa création en 1988. Elle y travaille d’abord comme bénévole, avant de se décider à se former comme diacre de l’Eglise protestante de Genève (EPG), les yeux fixés sur ce ministère particulier. «Je crois être la seule ministre à n’avoir jamais fait de stage en paroisse!», confie-t-elle, amusée. Et d’évoquer un de ses travaux de diplôme portant sur «l’éthique du passeur»: «Il y a bien entendu des passeurs escrocs, mais il existe aussi des passeurs humanitaires.»

Elle-même a d’ailleurs frôlé l’interdit, une fois, en mettant en lien des demandeurs d’asile déboutés avec une connaissance disposée à les aider à franchir la frontière autrichienne. «Ils ont mis des skis sur le toit de la voiture et se sont habillés en conséquence», raconte-t-elle sans fierté, mais heureuse du dénouement: ces réfugiés y ont obtenu l’asile. «De temps en temps, il faut savoir sortir du cadre», confesse-t-elle, tel un credo.

Infatigable accompagnatrice

De fait, sa fonction d’aumônière auprès des exilés ne pouvait s’inscrire dans un horaire et des missions strictement délimitées. Et encore moins s’arrêter à l’âge de la retraite. «Les besoins sont si grands», s’exclame-t-elle. «Et certaines situations si dramatiques que je n’y croirais pas, si je ne les voyais de mes propres yeux.»

A 77 ans, Véronique Egger poursuit donc bénévolement ses visites dans la zone de transit de Cointrin où sont retenus les requérants d’asile «jusqu’à soixante jours», mais également dans les établissements de détention administrative de Frambois et Favra, où d’autres sont enfermées en vue de leur expulsion.

Récemment, elle a accompagné une toute jeune fille, qui fuyait au lendemain de son mariage forcé avec un vieillard. «Sa mère l’a aidée à fuir, malgré tous les risques que cela comportait. Mais quand elle a montré une photo de son mariage à montrer aux fonctionnaires, ils lui ont demandé quelle preuve elle avait que ce n’était pas son grand-père», s’étrangle-t-elle. Déboutée, l’adolescente a été renvoyée à Casablanca. «Sa mère, avec qui je suis en contact, n’a plus jamais eu de nouvelles de sa fille.»

«Il y a tellement d’injustices dans le domaine de l’asile qu’il m’arrive, lorsque je frappe sur ma balle de tennis, d’imaginer que c’est le Secrétariat d’Etat aux migrations»

Médicaments dans les barbelés

Des tragédies humaines, Véronique Egger en a des centaines en stock, à raconter à qui veut bien savoir. Elle nous parle alors de ces «deux personnes déboutées qui craignaient pour leur vie dans leur pays d’origine et ont brisé la vitre des sanitaires pour s’enfuir.» Et d’ajouter: «L’une d’elles devait suivre un traitement médical strict. Ses médicaments ont été retrouvés coincés dans les fils barbelés…»

Ce qui frappe dans ses récits, c’est le souvenir toujours exact des noms des personnes croisées au cours de sa route. L’aumônière avoue avoir parfois de la peine à trouver le sommeil, tant elle se laisse toucher intimement par ces rencontres.  «Il y a tellement d’injustices qu’il m’arrive, lorsque je frappe sur ma balle de tennis, d’imaginer que c’est le Secrétariat d’Etat aux migrations!»

Véronique Egger n’a d’ailleurs pas sa langue dans sa poche lorsqu’il s’agit de pointer les dysfonctionnements d’un système d’asile aujourd’hui déshumanisé. «Bien sûr, il ne faut pas être naïf, il y a parfois des abus. Mais je reste persuadée que si la même personne auditionnait les requérants et prenait la décision, il y aurait beaucoup plus de demandes acceptées.»

EN DATES

Naissance le 29 août 1947 à Dörflingen (SH)

Termine sa formation de laborantine chimiste en 1967

Entre au comité d’Agora en 1988

Entame en 1990 sa formation de diacre, qu’elle termine en 1995

Prend sa retraite officiellement en 2007, mais continue son engagement en tant que bénévole