Église et société, à la lumière d’un livre récent
Périodiquement reviennent des questions sur la place des Églises dans la société. Certains désirent qu’elles s’engagent davantage, d’autres qu’elles se concentrent sur le culte et les activités « spirituelles ».
Je viens de lire le livre Black Church. De l'esclavage à Black Lives Matter d’Henry Louis Gates, Jr, traduit par Serge Molla et publié chez Labor et Fides en 2023. L’auteur montre comment les esclaves africains en Amérique se sont approprié l’Évangile et en ont fait à la fois une source d’espérance pour tenir dans leurs tribulations et une motivation pour lutter. En rompant avec les Églises blanches, leurs communautés chrétiennes ont été leurs premiers lieux où ils pouvaient être reconnus comme des personnes, devant un Dieu qui libérait de l’esclavage et appelait à la liberté. Ce furent aussi leurs premières institutions indépendantes. Leurs célébrations, notamment avec leur musique et ses rythmes, leur donnaient de pouvoir vivre déjà de cette espérance. Le salut prenait une dimension concrète, incarnée dans les réalités de leur vie quotidienne.
Plus tard, ces Églises ont été prises entre des courants visant pour les uns à l’intégration et à la respectabilité sociale et pour d’autres à la défense des droits des Noirs. Elles ont trouvé leur vitalité quand, dans divers lieux et temps de leur histoire, elles ont su faire leurs les aspirations de la communauté noire victime de ségrégation ou d’injustices et redevenir des lieux d’espérance et de luttes, faisant déjà goûter de la liberté. Encore aujourd’hui, un mouvement comme Black Lives Matter a des racines dans la spiritualité et les luttes de ces communautés africaines-américaines.
L’exemple de ces communautés, leur capacité à s’approprier les Écritures de leurs maîtres qui souhaitaient, par elles, leur inculquer l’obéissance, me rappelle le côté subversif du message biblique. De la sortie d’Égypte au don de l’Esprit pour tous de sorte qu’« il n’y a plus ni esclave ni homme libre » (Ga 3,28), Dieu appelle à la liberté et donne d’en vivre déjà. Jésus a porté aussi son attention aux conditions sociales de celles et ceux qu’il rencontrait, femmes, collecteurs d’impôts, veuves, travailleurs journaliers souvent au chômage, esclaves ou enfants.
Ce livre montre que l’Église remplit sa mission lorsqu’elle permet à celles et ceux qui peinent de trouver une espérance, de vivre la solidarité et qu’elle s’engage avec eux en les laissant s’approprier l’Évangile dans le concret de leur précarité. Elle est appelée, malgré toutes les tensions sociales qui la traversent, à s’engager aujourd’hui en vue de la justice, de la paix et de la sauvegarde de la création.