Dieu au fond de moi?
Très souvent, sous l'influence de diverses sagesses et spiritualités, on a la conviction qu'il convient de chercher Dieu au plus profond de soi. Aux yeux des adeptes de ce dieu situé au plus intime de notre intimité, les Eglises et leur proclamation d'une parole de Dieu qui viendrait d'ailleurs ont fait leur temps. On estime qu'elles se réfèrent d'abord à des Ecritures incapables de se mettre d'accord sur ce que Dieu a à nous dire. On les accuse ensuite d'être les interprètes manipulatrices de ces Ecritures dans le but de nous imposer leurs manières tout humaines de voir les choses. Fi donc des intermédiaires ! Comptons sur nos propres ressources pour trouver l'Absolu. Et c'est fort simple. Il est là à disposition au fond de chacun d'entre nous ! Et, à propos de citations des Ecritures, elles-mêmes nous disent que « le règne de Dieu est en vous » (Luc 17.21). Il est donc tout à fait chrétien de chercher Dieu en soi-même.
Lecteur, lectrice tu penses bien que, si j'ai entamé ce blog en parlant de Dieu au plus intime de soi, c'est pour discuter cette affirmation ! Partons donc de cette citation de l'évangile de Luc. D'abord, c'est à ma connaissance l'unique citation qui peut paraître à peu près explicite à propos de ce dieu intime. Même s'il y en avait dix ou cent autres, cela ne prouverait toutefois pas qu'il faille chercher Dieu au cœur de ce que je suis. Pourquoi ? Parce qu'il ne suffit pas que quelque chose soit écrit dans un livre biblique pour que ce soit une vérité éternelle. La Bible n'est pas en tant que telle la parole de Dieu. Elle est simplement le seul accès que nous ayons à cette parole. Car la Parole de Dieu, c'est fondamentalement une personne : Jésus de Nazareth. Si Jésus nous avait donné des exercices spirituels pour trouver Dieu au plus intime de ce que nous sommes, s'il avait lui-même pratiqué ce type de « méditation », alors un chrétien devrait effectivement chercher Dieu en lui-même. A lire les évangiles je ne vois guère que ce soit le cas.
Ensuite, la phrase « le règne de Dieu est en vous » peut être traduite autrement. On peut parfaitement comprendre que le règne de Dieu est « parmi vous ». Dans le contexte de Luc 17, il s'agit de la réponse donnée par Jésus à la question des pharisiens de savoir « quand viendrait le règne de Dieu ». Jésus répond que « le règne ne vient pas de telle sorte qu'on puisse l'observer. On ne dira même pas : " Regardez, il est ici ! " ou : " Il est là-bas ! ". En effet, le règne de Dieu est au milieu de vous ». Jésus répond à la question en « quand » des pharisiens en leur disant que Dieu règne ici et maintenant « parmi vous ». Conformément à ce que l'évangéliste Marc (1.15) rapporte, Jésus déclare, en effet, dès le début de son ministère que « le temps est accompli et le règne de Dieu s'est approché », sous-entendu au travers de lui. Le règne s'approche en la personne et l'oeuvre de Jésus. Il est donc effectivement parmi les pharisiens qui l'interrogent. Et, puisqu'il s'approche, il n'est pas en eux !
Enfin, si on lit bien le texte de Luc, la question n'est pas de savoir où trouver Dieu, mais quand (et peut-être où) viendra le règne de Dieu. Il ne s'agit pas de la connaissance de Dieu, mais de l'instant de son règne. Si l'on veut absolument traduire entos humôn par « en vous », on peut éventuellement penser que Jésus disait que Dieu, quand il règne, se met à régner (d'abord?) au cœur de ce que nous sommes. De l'extérieur de nous-mêmes il vient régner au plus intime de notre être et donc dans notre être entier. Cela ne signifie pas encore que ce soit le lieu où le chercher.
Car qu'y a-t-il au plus intime de ce que nous sommes ? Là, pour le coup, la Bible tout entière ou presque affirme qu'on n'y trouve que ce qu'elle qualifie de péché. L'humain est habité par la coupure d'avec Dieu, la mauvaise relation ou l'absence de relation à Dieu. Le péché, c'est aussi la conviction que l'on est à même de faire son bonheur par soi-même (par exemple en cherchant Dieu au plus intime de soi!). Ce n'est donc pas Dieu qui est au fond de moi, mais mon Moi exacerbé, la confiance indue en moi-même, le petit dieu que j'aimerais être et que je suis incapable de devenir tant mes limites m'en empêchent !
Quand je cherche avec sérieux et persévérance au fond de moi, je ne trouve malheureusement qu'un vide, un néant, une absence. J'aimerais y trouver quel est le sens de ma vie et ne trouve pas de réponse. J'aimerais y trouver le moyen de coller à moi-même, d'être vrai, mais c'est en vain, car toutes sortes de choses ne cessent de m'y troubler, de m'y angoisser. J'aimerais y trouver les ressources d'une vraie liberté à l'égard des autres, du monde, mais n'y découvre que des réalités que je ne maîtrise absolument pas... J'aimerais y entendre une parole claire me disant : « le sens de ta vie, c'est... » et aussi « tu peux être vraiment toi-même de telle ou telle manière » et encore « tu peux connaître une authentique liberté si... » Or je n'entends qu'une pluralité de voix, de messages qui sont équivoques, se contredisent les uns les autres.
Lectrice, lecteur, tu me diras : « C'est que tu ne sais pas entendre ! Tu ne sais pas regarder ! Tu ne sais pas sentir ! Essaye donc avec persévérance ! » J'ai essayé ; j'ai persévéré. L'idée m'est alors venue que tout ce que je pouvais jamais entendre, voir, sentir au fond de moi ne serait que le produit de mes désirs. Si j'y découvre une chose convenue à propos de Dieu, du sens de la vie, etc., c'est que je désire le statu quo ante. Si j'y découvre quelque chose de radicalement différent, c'est que je désire un changement, que je ne me contente pas du statu quo. Dans un cas comme dans l'autre, quelle preuve puis-je avoir que c'est bien Dieu qui me parle ? Certes on n'a jamais de preuve que ce qui nous paraît être parole de Dieu pour nous l'est réellement. Pourtant il y a une plus grande vraisemblance à ce qu'une parole qui me surprend de l'extérieur de moi-même et me remet radicalement en question puisse être parole de Dieu qu'une parole que je me dis à moi-même ou que je crois trouver tout au fond de moi.
Et à propos de ce dieu interiori intimo meo d'Augustin (plus intérieur que ma propre intimité), je pense qu'on peut le recomprendre au sens où c'est bien au plus intime de moi-même que la parole extérieure de Dieu résonne, parce que c'est au plus intime de moi que se posent les vraies questions à propos de ma vie et que la parole de Dieu est parole de Dieu dans la mesure où elle répond réellement à ces vraies questions existentielles.
Et à Noël n'affirmons-nous pas de manière centrale que Dieu s'est incarné, donc est VENU en l'un de nos semblables ? S'il était au fond de chacun de nous, il n'aurait pas eu besoin de s'incarner en un humain...