Prier au nom de Jésus
Dans le blog que j'avais consacré à la Providence, je terminais par une réflexion sur la prière. J'affirmais qu'on peut tout demander à Dieu, mais qu'il est libre de répondre comme bon lui semble. C'était pourtant là une réflexion incomplète. Peut-être faut-il être plus précis à propos de ce « tout » que l'on peut demander à Dieu.
D'abord, le Jésus matthéen affirme effectivement à ses disciples que tout ce qu'ils demanderont avec foi par la prière, ils le recevront (21.22). Et déjà dans le sermon sur la montagne il nous disait : « Demandez, et l'on vous donnera ; cherchez, et vous trouverez ; frappez, et l'on vous ouvrira. Car quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et à qui frappe on ouvrira. Si son fils lui demande du pain, quel est parmi vous celui qui lui donnera une pierre ? Ou bien, s'il demande un poisson, lui donnera-t-il un serpent ? Si donc vous, tout en étant mauvais, vous savez donner de bonnes choses à vos enfants, à combien plus forte raison votre Père qui est dans les cieux donnera-t-il de bonnes choses à ceux qui le lui demandent ! » (7.7-11). Le problème surgit quand on fait l'expérience de demander et de redemander et que Dieu ne répond pas. Est-ce parce que l'on ne demande pas « avec foi » ? Mais quand de nombreux grands croyants font de manière réitérée cette même expérience, est-ce parce que leur foi est trop timide ? Ou serait-ce que Jésus tel que cité par Matthieu (et par Luc) n'a pas dit dans la foulée que, si Dieu est Dieu, il est libre de répondre comme il le veut ? Et répondre comme il le veut, cela peut être répondre par Non ou répondre autrement que nous ne nous y attendons. Peut-être faut-il effectivement chercher parfois ailleurs que nous ne le faisons la réponse de Dieu.
Il semble toutefois que, dans les christianismes primitifs, ce genre de questions se soit déjà posé. Il est à ce propos symptomatique que, dans l'évangile de Jean, on ait régulièrement, à propos de la prière, une précision qui ne se trouve pas dans les évangiles synoptiques. Dans les discours d'adieu de Jésus à ses disciples, le maître affirme que « tout ce que vous demanderez en mon nom, je le ferai, pour que le Père soit glorifié dans le Fils. Si vous me demandez quelque chose en mon nom, moi, je le ferai. » (14.13-14). Au chapitre 16, Jésus précise à propos du moment où ses disciples reverront le Christ après ne plus l'avoir vu : « En ce jour-là, vous ne me demanderez plus rien. Amen, amen, je vous le dis, ce que vous demanderez au Père, il vous le donnera en mon nom » (16,23). Et ce « en mon nom » se retrouve trois versets plus loin (26). Se pourrait-il donc que le Jésus johannique précise que le « demander avec foi » matthéen revient à demander « au nom de Jésus » et qu'en ce sens on ne peut pas demander n'importe quoi à Dieu ?
Comment donc comprendre la demande « au nom de Jésus » ? Une première réponse à cette question consiste à prendre la prière minimaliste que Jésus a laissée à ses disciples, le Notre Père, comme critère de la vraie prière (Matthieu 6.9-13). Cet exemple de prière nous apprend, entre autres choses, à demander des « choses » pour Dieu avant d'en demander pour nous-mêmes. Or nous avons toujours tendance à entamer notre prière en pensant à nos besoins et éventuellement à ceux d'autrui. Demandons d'abord la victoire de Dieu sur ses ennemis – à laquelle nous serons associés – plutôt que pusillanimement notre petite victoire sur nos ennemis. Et penser à Dieu avant de penser à nous-mêmes, cela pourrait aussi bien consister à entamer son oraison en remerciant Dieu pour tous ses bienfaits. L'importance de ce que nous lui demanderons ensuite en sera relativisée. Nos demandes seront remises à leur juste place. Peut-être certaines d'entre elles n'auront-elles plus lieu d'être. Dans la seconde partie du notre Père, Jésus nous conseille aussi de demander en « nous » plutôt qu'en « je ». Il s'agit de quérir ce qui est valable pour tous les humains et pas seulement pour soi-même. Le Notre Père ne m'incite pas à solliciter le pain dont j'ai besoin pour aujourd'hui. Il m'invite à demander le pain dont toute l'humanité à besoin pour aujourd'hui. Je pourrai alors développer cette demande en demandant à Dieu de m'aider à partager le pain reçu en abondance avec ceux qui n'ont pas reçu autant que moi. Et peut-être que j'aurai alors une réponse assez rapide à ma demande. Jésus nous demande encore la concision dans la prière (2x3 demandes!), étant entendu que notre Père sait de quoi nous avons besoin avant que nous le lui demandions (6.8). Dans ce cas, « demander avec foi » pourrait bien consister à demander à Dieu des choses générales, en faisant pleinement confiance à Dieu qu'il sait ce qui nous est personnellement bénéfique.
Demander quelque chose « au nom de Jésus » doit ensuite ne pas être contradictoire avec ce que Jésus est venu vivre et enseigner. S'il me venait à l'esprit de demander à Dieu de détruire mes ennemis, je ne suis pas en droit d'attendre une réponse positive de sa part. Si par contre je lui demande de m'aider à pardonner à mes ennemis, à me réconcilier avec eux en dépit de toute la hargne de ces adversaires, j'ose espérer une réponse positive. Je prie alors dans l'esprit de Jésus et même dans l'Esprit de Dieu qui a pour critère ce qui m'a été révélé en Jésus de Nazareth (Jean 16.14-15).
En résumé, on peut dire que la vraie prière est toujours réponse à la parole que Dieu nous a adressée en Jésus. La prière n'est pas seulement autorisée parce que le premier Dieu nous a interpellés, enseignés, réconfortés. Son contenu doit être en résonance avec ce que Dieu nous a dit de manière centrale et décisive en Jésus.
Le texte à propos de la providence auquel je fais allusion dans ce blog-ci se trouve à l'adresses suivante : https://www.reformes.ch/blog/jean-denis-kraege/2023/02/turquie-syrie-dieu-et-le-mal