Quel contenu à la proposition chrétienne?

Croix des Chaux
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Croix des Chaux

Quel contenu à la proposition chrétienne?

Par Jean-Denis Kraege
6 novembre 2023

La proposition chrétienne nous a été faite par Dieu en Jésus de Nazareth confessé comme le Christ ou encore comme la Parole de Dieu faite homme. Au cœur du message de Jésus, il y a une parole qui nous suscite en tant que personne selon la belle expression du philosophe français Bruno Latour. Quel est donc le contenu de cette parole d'amour ?

Je me propose d'organiser ma réponse en fonction de trois questions fondamentales qui se posent à toute vie humaine. Ces questions sont celle de notre destinée ou de notre liberté, celle du sens de notre vie et celle de sa vérité ou de sa cohérence.

Jésus, en laissant sa destinée totalement déterminée par son Père, fut non seulement l'homme libre par excellence, mais fut aussi libérateur. Il a été libre à l'égard de la loi (pour vraiment l'accomplir) et à l'égard du culte (le temple, les sacrifices), c'est-à-dire à l'égard des deux piliers de la société dans laquelle il évoluait. Son activité libératrice se manifesta de manière paradigmatique par son activité de guérisseur. Jésus est venu ensuite promettre à tous que notre vie à une valeur absolue, donc une raison d'être, un sens aux yeux de Dieu. C'est centralement dans son enseignement en paraboles qu'il l'a dit. Il l'a aussi manifesté dans son comportement à l'égard des « gens biens » de son entourage, des occupants romains comme des laissés pour compte de la société d'alors. Le sens de sa vie fut de servir Dieu et son prochain. Quant à la vérité de vie ou à la cohérence de vie à laquelle nous aspirons tous, Jésus est venu nous donner l'exemple d'une vie parfaitement cohérente, jusqu'à et y compris sa mort abjecte de crucifié, conséquence logique de sa prédication et de son comportements scandaleux. Cette cohérence entre sa parole et sa vie a eu pour conséquence cette autorité dont nous parlent les évangiles et qui semble avoir beaucoup impressionné, même si ce fut temporairement, nombre de ses contemporains.

Ces réponses offertes par Dieu en Jésus de Nazareth à trois de nos questions fondamentales possèdent une caractéristique commune et essentielle. Toutes relèvent du don inconditionnel. Jésus guérit gratuitement. Il n'exige aucun préalable ni rien en retour. Quand Jésus fait preuve d'autorité, ce n'est jamais pour dominer, mais pour aider ses auditeurs à trouver eux aussi la cohérence de leur vie, pour leur permettre d'être vraiment eux-mêmes. Enfin il vient affirmer à tous que nos vies possèdent inconditionnellement de la valeur. Elles ont du sens pour Dieu en dépit de toutes nos fautes, de toutes nos erreurs et en particulier de toutes nos révoltes et indifférences à l'égard de notre Père.

Il y a dans ce don gratuit fait par Dieu du jamais vu dans l'histoire humaine. De manière générale l'histoire des religions nous montre que l'on a affaire, entre Dieu et les hommes, à la logique de la rétribution, à la logique du don et du contre-don. Le plus souvent l'homme donne quelque chose à Dieu et attend que Dieu lui donne en retour ce que l'homme attend de lui. C'est là la logique du sacrifice. Je sacrifie un animal, de l'argent, du temps, ma vie au dieu pour qu'il fasse tomber la pluie, qu'il me garde en bonne santé, m'offre en récompense la vie éternelle, apaise la violence... Parfois le schéma rétributif est inversé. C'est Dieu qui est reconnu donnant le premier et les humains doivent répondre à cette grâce conditionnelle (quel bel oxymore!). S'ils ne respectent pas les lois de Dieu alors qu'ils ont reçu de lui une terre en cadeau, attention à la colère de Dieu...

En nous instaurant gratuitement comme des personnes qui pouvons vivre dans une vie libre, vraie et sensée, Jésus a suscité la plupart du temps rien moins que le scandale. La croix est le résultat de la proclamation d'une parole à laquelle il s'agit de faire une absolue confiance, sans aucune assurance quant à sa véracité. Par contre, dans le système rétributif, on a toujours une certaine assurance : celle que l'autre doit répondre à mon geste, sans quoi on est en droit de se fâcher avec lui. Notons que ce scandale est d'autant plus grand que la parole d'amour de Jésus semble parfaitement répondre à nos attentes ! En effet on se dit : si seulement cette parole qui nous convient si bien était vraie, mais elle ne peut pas l'être, car elle n'exige rien en retour... Le scandale naît ainsi de ce qu'on exige de moi une confiance absolue en la gratuité alors que je crois « naturellement » à la rétribution. La confrontation de ces deux confiances a conduit à rien moins qu'à la mise à mort du dieu de grâce au nom du dieu de la rétribution (ou de la loi, dans les termes de l'apôtre Paul).

Au soir de Vendredi Saint, les disciples qui avaient été « étonnés par un phénomène étonnant » et même dérangeant ont dû se demander qui était en réalité celui qui leur promettait liberté, vérité et sens pour leur vie, quelle qu'elle ait été jusque-là. C'est la question que se posent encore, l'après-midi du jour de Pâques, les deux disciples qui s'en retournent à leur passé, déçus par l'échec de celui qu'ils avaient suivi et cru comprendre (Luc 24,13-35). Qui était-il ? D'où lui venait le droit de faire des promesses aussi énormes ? Fut-il un homme génial qui a subi un atroce échec ? Ou fut-il vraiment le porte-parole de Dieu ? Plus encore sa parole fut-elle simple invention humaine ou fut-elle la parole de Dieu incarnée. L'expérience de Pâques, c'est de découvrir, chose impossible à nos capacités tout humaines, qu'il y avait là plus que les prophètes. C'est la conviction que Dieu lui-même nous a parlé et qu'il l'a fait de manière dernière, une fois pour toutes, définitivement, car absolument.

Quant à nous, nous ne sommes pas plus avancés que les disciples au soir de ce vendredi-là ou sur le chemin d'Emmaüs. Face à la proposition chrétienne, il nous faut aussi parier, parier pour le scandale ou pour la confiance. Comme l'a bien montré Blaise Pascal, face à l'absolu qui fait irruption dans nos vies lorsque cette proposition nous a été transmise, ne pas se décider est encore une manière de se scandaliser, de crucifier Dieu et sa parole (cf. https://www.reformes.ch/blog/jean-denis-kraege/2023/10/pascal-et-la-proposition-chretienne).