Espérance, boussole de l'existence
Contexte actuel
Le moral des jeunes est en berne. Voilà l’un des signaux les plus préoccupants de ces derniers mois dans notre pays. La prescription d’antidépresseurs et d’anxiolytiques de tous ordres atteint des sommets, la dépression touche de nombreux jeunes adultes, les dépendances se renforcent. Bien sûr, une grande majorité se porte bien, mais les signaux d’un mal être diffus dans les nouvelles générations se sont renforcés avec la crise pandémique. Je fais partie d’une génération qui a encore grandi avec l’idée que le progrès et les avancées de toutes sortes caractérisaient la société et la civilisation en général. Cette vision du monde a bel et bien disparu, l’histoire récente n’en a fait qu’une bouchée.
La littérature contemporaine – un domaine dans lequel j’ai élu domicile depuis longtemps – reflète ces fragilités en décrivant, sous des formes diverses, la limite entre les mondes de la vie et de la mort. Beaucoup de romans actuels intègrent des personnages féériques, oniriques ou alors une dimension spirituelle voire ésotérique. Les limites entre les différents mondes, entre les sphères de la réalité, du rêve et de l’utopie se mélangent, les lecteurs sont invités à se laisser porter par ces oscillations entre des univers différents. Cela reflète un changement rapide dans les sociétés occidentales où les certitudes en matière de progrès social ou politique ont disparu. Dans ce chantier immense, l’avenir peine à sortir de terre. Et un avenir qui se fait désirer, c’est le signe d’un présent qui a perdu la boule !
Croire d’accord, mais croire en quoi ?
Dans cette lutte individuelle au quotidien, les plus jeunes se découragent vite. Leurs aîné-es jouent un rôle central pour les accompagner, reconnaître leurs talents et leurs idées, investir dans leurs projets, se laisser interpeller par leurs nouveaux rythmes et par leurs rêves d’un jour. Les utopies sont mortes, ce ne sont pas les jeunes qui les ont achevées.
Mais alors quoi ? Un monde sans avenir ? Non, plusieurs avenirs, une nouvelle perception du temps, moins linéaire, plus chaotique. La dimension historique comprise comme une évolution vers un certain progrès ou une certaine amélioration des conditions de vie est aujourd’hui remise en question. Le temps flotte en quelque sorte, les crises se succèdent à un rythme rapide, les capacités d’adaptation des humains sont mises à rude épreuve et contribuent à un sentiment d’impuissance sur les événements. L’avenir ressemble plus à un bricolage devant l’urgence qu’à une mise en œuvre de projets et d’idées.
On comprendra alors que croire, en un seul Dieu de surcroît, semble une proposition bien saugrenue. A part peut-être pour ceux et celles, toujours plus rares, qui ont grandi dans une famille croyante ou qui fréquentent une communauté. Et d’ailleurs, pourquoi faudrait-il croire ?
Notre époque se caractérise avant tout par sa précarité. Les crises se succèdent, un sentiment d’urgence constante s’est installé. Cette précarité, qui concerne l’ensemble de la société, s’est accrue progressivement mais rapidement ces trois ou quatre dernières années. Elle est à tout le moins devenue visible, tangible. Pandémie, confinement, état d’urgence, pénuries, guerre, inflation, récession ont mis à mal les certitudes de notre société. Dans un premier temps, la précarité apparaît comme un diagnostic d’instabilité garantie. Cependant, j’aimerais souligner aussi sa dimension d’ouverture à la surprise et d’opportunité. Pour moi, la précarité est étroitement liée à l’émergence de l’espérance.
Espérance, boussole de l’existence
Qu’est-ce que l’espérance ? Difficile de le dire en une phrase. C’est à la fois le fait d’espérer, l’attente de quelque chose de souhaité, et l’attente confiante de quelque chose dont on a la conviction. La foi chrétienne s’appuie sur l’attente du retour du Christ, sur ce que les anglophones appellent « second coming », la deuxième venue. Mais qu’est-ce que cela peut bien signifier dans nos vies contemporaines ballotées entre les crises ? C’est justement là que l’espérance a besoin de ce que j’appelle une traduction pour aujourd’hui.
Et c’est justement là qu’elle surgit : dans le maintenant des vies humaines, car certes l’espérance est intrinsèquement liée à l’avenir, mais à un avenir qui vient, un à-venir non chronologique. L’espérance (en) Christ constitue une irruption dans le déroulement de l’histoire. Elle se propose à l’humain comme une nouvelle lecture de sa place dans la vie, dans le monde, dans la création. Et surtout cette irruption ne doit pas se limiter à la venue historique de Jésus dans le monde il y a un peu plus de deux mille ans. Non, cette irruption, ce bouleversement du temps et de l’espace, se repropose à l’humain et en particulier à celui ou celle qui met sa confiance dans ce Christ.
Univers virtuels, imagination, art, créativité, tout cela s’harmonise fort bien avec l’espérance. En effet, il faut être prêt à se laisser surprendre et emporter par la foi en un homme mort qui quitte miraculeusement son tombeau. Et il faut aussi être humble pour s’abandonner à l’espérance qui vient à notre rencontre, une espérance insaisissable et mystérieuse. Tout, en nous et autour de nous, est précaire, mais ce signe eschatologique favorise l’émergence d’une transcendance immédiate, synchronique, indépendante et libre des fluctuations de l’histoire.
La vie dans l’espérance, la vie dans les pas du Christ, offre cette chance inouïe : que tout aille bien ou que tout aille mal, le Christ reste à nos côtés. Notre espérance, c’est lui. Ou, pour le dire autrement, Christ espère en nous, il demeure tapi au plus profond de nous-mêmes. Dans ce silence de l’être, jeunes et moins jeunes peuvent entendre le murmure de celui qui veille sur elles, sur eux.
Janique Perrin