«Nous n'avons pas de structures qui permettent de dissimuler systématiquement les abus»
Passé l’effroi, la présidente des protestants suisses Rita Famos, à la tête de l’Eglise réformée de Suisse (EERS), revient sur les abus sexuels perpétrés au sein de l’Eglise catholique suisse. Si la faîtière des réformés a connu elle aussi son scandale en 2020 avec les accusations mettant en cause son président d’alors Gottfried Locher, l’EERS défend son cadre structurel plus à même de réagir en cas de suspicion. Explications avec l’actuelle présidente.
Comment ces scandales dans l'Eglise catholique impactent-ils les Eglises réformées?
Nous sommes horrifiés et touchés. Au-delà du nombre, ce sont les exemples de cas qui sont bouleversants. Nous sommes de tout cœur avec les victimes et les personnes concernées. Parallèlement, nous saluons le fait que les cas soient enfin traités et que l'étude soit poursuivie. Nous espérons que les voix de ceux qui appellent à des réformes au sein de l'Eglise catholique romaine soient renforcées.
Vous attendez-vous à un effet de contagion au niveau des sorties d'Eglise, ou au contraire à des transferts de l'Eglise catholique vers les Eglises protestantes?
Actuellement, il est trop tôt pour pouvoir dire de manière fondée si les récents événements au sein de l'Eglise catholique romaine ont eu une influence sur l'intérêt des gens pour l’Eglise protestante. Nous n'avons pas connaissance de départs et d'arrivées explicites de membres réformés. Nous entendons que certains membres de l'Eglise catholique ont exprimé leurs inquiétudes auprès des Eglises et des paroisses à propos des cas découverts dans leur Eglise. Nous ne serions pas étonnés que des personnes envisagent de rejoindre l'Église évangélique réformée. Les protestants traitent les femmes et les hommes de manière égale et défendent une morale selon laquelle la sexualité se vit dans une relation moderne et égalitaire. Ils ne connaissent par ailleurs ni le célibat ni leur propre juridiction.
Comment expliquez-vous que l'Eglise réformée semble rencontrer moins de phénomènes d’abus que l’Eglise catholique?
Les Églises membres de l’EERS se trouvent dans une situation différente de celle de l'Église catholique romaine, ne serait-ce qu'en raison de leurs structures. Les Églises réformées n'ont pas leur propre système juridique hermétique comme l'Église catholique romaine avec le Codex Iuris Canonici (CIC). Au sein des cantons, les Eglises réformées ne se sont jamais considérées comme des institutions indépendantes en matière de droit pénal. Elles ont aligné leurs procédures sur les normes pénales étatiques en vigueur.
Cela signifie que les cas suspects sont systématiquement transmis à la poursuite pénale de l'Etat. Si les victimes ne souhaitent déposer que des plaintes internes, des bureaux externes spécialisés sont alors chargés de l'enquête.
Vos doctrines théologiques font-elles également une différence?
La situation n'est à ce niveau-là également pas comparable. Premièrement, l'Église réformée ne connaît pas le célibat des ministres et a réalisé un travail théologique intense dans le domaine de la morale sexuelle au cours des cent dernières années. Deuxièmement, le secret de confession dans l'Eglise catholique romaine est absolu selon le CIC, celui qui le rompt est excommunié. Dans l'Eglise réformée, les aumôniers peuvent se libérer du secret pastoral lors d’un cas de conscience. Notons encore, par ailleurs, que les Églises évangéliques réformées ne gèrent pratiquement pas de foyers, d'écoles ou d'internats et n'ont que quelques petites communautés religieuses isolées.
On parle souvent de problème systémique. En quoi le système des Eglises réformées est-il plus à même de se prémunir contre ces dérives ?
Nous n'avons pas de structures qui permettent de dissimuler systématiquement les abus, ni de hiérarchie qui permette de muter facilement les personnes coupables. Notre travail sur les cas d'abus dans le domaine des enfants placés et des mesures de coercition à des fins d'assistance dans la deuxième moitié du XXe siècle (cf. Enfants au foyer et au travail. Le rôle des Églises réformées aux XIXe et XXe siècles de Simon Hofstetter et Esther Gaillard) a cependant montré que les pasteurs ont souvent fermé les yeux sur des cas suspects et n'ont pas toujours pris les mesures nécessaires pour protéger les victimes. Aujourd'hui, cette sensibilisation fait partie des standards que nous voulons atteindre.
Pour quel cadre précisément?
Partout où il existe des relations de dépendance, que ce soit dans le travail avec les jeunes, l'aumônerie ou les conseils de paroisse et la gestion du personnel, les mesures visant à prévenir la violence et les abus sexuels doivent être constamment contrôlées et améliorées. Nous travaillons à une culture dans laquelle les Eglises sont un lieu de sécurité physique et psychique.