Adiaphora ou Status confessionis ?
Le Document de Foi et Constitution « Vers une Vision commune de l’Église » dit que « certains considèrent que, de par leur nature, les questions morales ne sont pas causes de divisions dans l’Église, alors que d’autres sont fermement convaincus du contraire ». [1]
La question éthique peut être posée avec la maxime : « Unité dans les choses essentielles, liberté dans les choses secondaires, charité en toutes choses ». Tel thème éthique est-il secondaire ou bien touche-t-il aussi à l’anthropologie théologique, donc à la foi chrétienne, en particulier la compréhension du premier article du Symbole des apôtres (le Dieu créateur, l’homme et la femme créés à l’image de Dieu) ? Cette question devrait faire l’objet d’un dialogue. Les Églises - à l’interne ou entre elles - sont-elles prêtes à se mettre autour d’une table pour en discuter ?
Au sujet de l’anthropologie théologique, la commission Foi et Constitution a proposé dix affirmations. J’en conseille la lecture, estimant qu’elles constituent un bon point de départ pour une réflexion œcuménique.[2] Elles affirment que dans la conception chrétienne, on ne peut définir la nature humaine sans se référer, à la fois, à « l’image de Dieu » dans toute l'humanité et à l'expression paradigmatique de la véritable humanité en la personne de Jésus de Nazareth.
Il est aussi heureux que protestants et orthodoxes aient commencé un dialogue sur certaines questions clés de l'anthropologie théologique, telles que la liberté humaine, le péché, la foi, l'être humain en tant que créé à l'image et à la ressemblance de Dieu, et l'horizon ultime de l'existence humaine.[3]
En écho à l’affirmation de la lettre aux Hébreux : « Par la foi, nous comprenons que l'univers a été formé par la parole de Dieu » (Hébreux 11,2), le premier article du crédo affirme : « Je crois en Dieu, le Père tout puissant, créateur du ciel et de la terre ». L’anthropologie théologique fait-elle donc, oui ou non, partie du donné de la foi ?
Dans le débat sur la conjugalité, par exemple, la question est la suivante : la création de l’homme et de la femme à l’image de Dieu, sommet de la création, et leur vocation à se rencontrer dans le couple font-ils partie de la révélation ? Ou bien, pour poser la question simplement, dans les termes de l’Association théologique protestante des pasteurs de Berne : Le mariage et la famille : une question fondamentale de la foi ?[4]
Répondre à cette question conduit à définir si cette question est de l’ordre des adiaphora (des choses secondaires) ou du status confessionis (une question où la foi de l’Église est en jeu).
Yvan Bourquin et Joan Charras Sancho estiment que les questions soulevées par ce thème sont de l’ordre des adiaphora et justifient par conséquent les décisions ecclésiales sur la bénédiction des couples de même sexe.[5]
En novembre 2019, l’Église évangélique réformée de Suisse a décidé de soutenir le « mariage pour tous », ainsi que sa célébration ecclésiale. Elle a légitimé une anthropologie théologique en acceptant l’idée que Dieu le Créateur a voulu l’homosexualité : « Nous sommes voulus par Dieu tels que nous sommes créés. Nous ne pouvons pas choisir notre orientation sexuelle. Nous l’intégrons comme une expression de notre plénitude de créature. » [6]
La Déclaration « N‘avez-vous pas lu… ? » sur le mariage pour tous dans l’Église, signée par plus de 200 pasteurs, a pris le contre-pied de cette position en affirmant un Status confessionis : « Lorsque la base d’une telle décision n’est pas l’Écriture sainte, on quitte le fondement de la théologie chrétienne. Il faut que l’Église reste en-dessous de l’Écriture et non au-dessus. Elle perd sa légitimité lorsqu’elle ne base pas ses décisions sur l’Écriture ».[7]
L’Institut de théologie et d’éthique de l’Église évangélique réformée de Suisse fait ce constat : « En bref, la problématique « mariage, famille et sexualité » est devenue au cours des dernières années le marqueur principal d’identité et de démarcation des Églises chrétiennes en Europe, parallèlement à une privatisation d’inspiration néolibérale et à une forte individualisation, qui caractérisent aussi le traitement de cette problématique dans les autres domaines de la société. Tel est le nouveau status confessionis des Églises chrétiennes d’Occident ».[8]
Le sens de la conjugalité est-il un Adiaphora ou un Status confessionis ? Cette question renvoie à celle de l’anthropologie théologique : fait-elle partie du contenu de la foi ou non ? Personnellement je dis oui, mais un débat circonstancié doit avoir lieu à ce sujet. Sans doute le sens de l’anthropologie sera la grande question de ce siècle. Le sens de la conjugalité fait partie de la foi chrétienne, or dans cette même foi il y a non seulement la révélation biblique de la différence et de la complémentarité « homme et femme Il les créa », mais il y a également la reconnaissance du péché et de la chute, qui pèse sur chacun de nous et qui doit conduire les chrétiens à des attitudes de respect, de discernement spirituel et d’amour.[9]
Martin Hoegger
Vous pouvez laisser un commentaire sur mon site internet.
[1] Foi et Constitution, L’Église, une vision commune. COE, Genève. 2013. §63
[2] Cf. Faith and Order at the Crossroads. Kuala Lumpur 2004. The Plenary Commission Meeting, ed. Thomas F. Best, Faith and Order Paper No. 196, WCC. Geneva. https://archive.org/details/wccfops2.203
[3] Cf. Christophe Chalamet, Konstantinos Delikostantis, Job Getcha, and Elisabeth Parmentier, éd. Theological Anthropology, 500 Years after Martin Luther. Orthodox and Protestant Perspectives. Brill, Leiden-Boston, 2021
[4] Thème des rencontres de 2020 de cette association : http://www.evangelischerpfarrverein.ch/wp-content/uploads/2011/03/Pfarrverein-2020-Ehe-und-Familie.pdf
[5] Yvan Bourquin, Joan Charras Sancho, L'accueil radical, Ressources pour une Église inclusive. Labor et Fides, Genève, 2016.
[6] La décision a été prise le 4 novembre 2019. Auparavant l’assemblée de la Fédération des Églises protestantes de Suisse (devenue Église évangélique réformée de Suisse) du 16 au 18 juin de la même année avait fait cette déclaration que j’ai cité. https://www.reformes.ch/religions/2019/06/lorientation-sexuelle-nest-pas-un-choix-mais-un-don-de-dieu-feps-assemblee
[7] Cf https://www.ler3.ch/declaration-sur-le-mariage-pour-tous-dans-leglise/
[8] Mariage et partenariat. « Une petite Église dans l’Église », Institut de théologie et d’éthique. Fédération des Eglises protestantes de Suisse, 2019, p. 4 https://www.evref.ch/wp-content/uploads/2019/11/10_le_mariage_pour_tous_fr.pdf
[9] La Déclaration « N’avez-vous pas lu », prend en compte l’état de chute de la création entière (Rom 5, 12–21; 8, 18–25) : « En ce qui concerne leurs relations avec Dieu, avec leur prochain et avec eux-mêmes (y compris leur propre sexualité), tous les humains sont dans un rapport brisé quant à la volonté créatrice de Dieu. Cet état nous empêche d’identifier immédiatement la volonté originelle de Dieu avec ce que nous constatons dans la nature ». Art. cit. supra.