Prêtres abuseurs: une majorité d’homosexuels refoulés?

Les victimes des abus sexuels commis au sein de l’Eglise catholique suisse, révélés en début de semaine, sont majoritairement des mineurs (74%), mais également des garçons (56%). / IStock
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Les victimes des abus sexuels commis au sein de l’Eglise catholique suisse, révélés en début de semaine, sont majoritairement des mineurs (74%), mais également des garçons (56%).
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Prêtres abuseurs: une majorité d’homosexuels refoulés?

15 septembre 2023
Alors que dans la population générale, les victimes d’abus sexuels sont majoritairement des filles, la proportion s’inverse concernant les abus au sein de l’Eglise catholique. Explications de Florence Thibaut, professeure de psychiatrie spécialiste des déviances sexuelles.

Les victimes des abus sexuels commis au sein de l’Eglise catholique suisse, révélés en début de semaine, sont majoritairement des mineurs (74%), mais également des garçons (56%). En France, selon les chiffres du rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE), cette proportion de victimes masculines s’élevait même à hauteur de 80%, alors que partout ailleurs (famille, école, sport, etc.), les victimes sont majoritairement des filles (60%). Comment expliquer une telle particularité? Entretien avec Florence Thibaut, professeure de psychiatrie et d’addictologie à la Faculté de médecine Paris Descartes et membre de la CIASE.

En tant que psychiatre, comment vous expliquez-vous l’ampleur des cas d’agressions sexuelles envers des mineurs dans l’Eglise catholique?

Il n'y a pas de raison que ce soit différent par rapport à la population générale. Les chiffres montrent qu’il n’y a pas plus d’abus dans le contexte ecclésial par rapport à la situation au sein de la société dans son ensemble. On a aujourd’hui plus de risque de se faire abuser au sein de sa famille que dans l’Eglise catholique (3,7% contre 1,2% selon une enquête menée pour la CIASE, ndlr.). En effet, l’immense majorité des agresseurs sexuels sont des parents incestueux ou d’autres membres de la famille. Les chiffres dévoilent par contre une différence notoire: les victimes d’abus dans l’Eglise sont majoritairement de jeunes garçons (80%, ndlr.), alors que dans la population, c’est plutôt des filles (60%, ndlr.). Le pourcentage est pratiquement inversé.

Comment le comprenez-vous?

Les enquêtes anonymes qui ont été menées montrent qu’il y a entre 30 et 40% d’homosexuels dans le clergé, une proportion beaucoup plus importante que dans la population générale (environ 10%, ndlr.) Pourquoi y a-t-il autant d’homosexuels dans le clergé? Je ne saurais vous répondre. Il est possible que certains aient caché leur homosexualité derrière la fonction, qui va de pair avec le célibat, et ce surtout à l’époque où cette orientation était soit condamnée, soit très mal jugée. Cela pouvait être, dans certains noyaux familiaux, une façon de ne pas lever le secret de famille.

A contrario, d'aucuns pointent l'obligation du célibat pour expliquer ces abus. Cela vous semble-t-il une explication plausible?

C’est une possibilité. Quand on regarde les dossiers, on s’aperçoit qu’il y a quand même une frustration sexuelle importante chez ceux qui ont sévi. Si la majorité des victimes sont de sexe masculin, il ne faut pas oublier qu’il y a aussi une question d’opportunité – c’est-à-dire que l’on prend «ce qu’on a sous la main». Et à l’époque, seuls des garçons accompagnaient les prêtres dans la réalisation des messes. Cet état de fait se conjugue avec la surreprésentation d’homosexuels au sein du clergé.

Que sait-on du profil des auteurs de ces actes pédocriminels dans l’Eglise catholique?

Les profils d’agresseurs sexuels sont toujours divers. Il y a des gens qui assument mal leur homosexualité et qui veulent essayer avec des mineurs parce qu'ils ont le sentiment que c'est moins dangereux, qu’ils seront moins jugés par le ou la mineure s’il y a échec sur le plan de la sexualité. Il y a aussi ceux qui veulent essayer pour voir l'effet que ça fait, ceux qui n'ont pas de sexualité et en ressentent le manque. D’après les études menées dans la population générale, seuls 10% des agresseurs sexuels seraient des pédophiles exclusifs.

La stigmatisation de la sexualité, et qui plus est homosexuelle, au sein de l’Eglise catholique jouerait-elle un rôle dans ces passages à l’acte?

Probablement, parce que le fait de ne pas pouvoir assumer pleinement sa sexualité, qu’elle soit hétéro ou homosexuelle, est quand même un vrai souci, qui peut engendrer dans certains cas beaucoup de frustration. A titre personnel, je suis plutôt favorable au mariage des prêtres. Je ne dis pas que cela éliminerait complètement les actes pédophiles au sein de l’Eglise, car il y a aussi des pédophiles mariés et pères de familles, mais peut-être y aurait-il moins de frustration sexuelle et peut-être un peu moins de tentations.

Selon vous, il y a donc clairement un lien entre sexualité refoulée et pédocriminalité?

Oui, c'est clairement mon impression. On trouve aussi ça dans la religion juive ultra-orthodoxe, chez des jeunes religieux qui sont très frustrés de ne pas pouvoir avoir de rapports sexuels avant la trentaine et hors mariage. Et donc ils s'essaient avec des jeunes filles vierges pour vérifier que tout fonctionne. 

Comment l’Eglise catholique pourrait donc se prémunir de tels actes?

Dans le rapport Sauvé, nous avons émis différentes préconisations. Comme on le fait dans d’autres institutions, il faudrait s’assurer de l’absence d’antécédents de condamnation pour des faits sexuels lors du recrutement de toutes personnes engagées au sein de l’Eglise catholique. Il faudrait également un accompagnement par un tuteur spirituel auquel le prêtre pourrait confier ses difficultés d’ordre sexuel ou affectif afin d’être mieux accompagné dans les situations difficiles. En outre, il est crucial de faire de la formation initiale et continue pour aider les prêtres à gérer les relations qu’ils entretiennent avec les enfants et adolescents. Les situations ne sont pas toujours évidentes.

C’est-à-dire?

Il arrive par exemple qu’un enfant ou adolescent maltraité sexuellement chez lui mette en place une relation affective, voire sexuellement ambiguë, avec le prêtre, qui se retrouve alors confronté à la situation, seul dans sa paroisse et avec personne à qui en référer. Ou bien alors l’homme d’Eglise se retrouve dans un camp de vacances face à un adolescent qui lui plaît. Comment doit-il agir? Ce genre de situations peut arriver à n'importe quel prêtre, pédophile ou pas. Or, pour l’instant, d’après les enquêtes, on n’a pas l’impression que la sexualité soit abordée.