100 ans de culte radio et un subtil renversement

Culte radio diffusé en direct sur Espace2 (Bévilard) / Culte radio diffusé en direct sur Espace2
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Culte radio diffusé en direct sur Espace2 (Bévilard)
Culte radio diffusé en direct sur Espace2

100 ans de culte radio et un subtil renversement

Par Michel Kocher
8 mai 2023

Dimanche 14 mai, le Temple de Morges sera le lieu d’une célébration marquant les 100 ans du culte radio. C’est en mai 1923 que le pasteur Raoul Dardel inaugure la première diffusion d’un culte dans le cadre de ce qui n’est encore qu’un média bien expérimental : une radio à l’aérodrome de Cointrin. Plus de 5000 (!) cultes plus tard, force est de constater que son idée, suivie quelques mois plus tard par son collègue vaudois, Jules Amiguet, était judicieuse. D’abord elle correspondait à une attention légitime, celle de rejoindre le public par un moyen de diffusion aussi surprenant que prometteur : le culte vient à l’auditeur et pas le contraire. Ensuite, et il a fallu du temps pour que la peur de « vider les églises » soit surmontée, il y avait un réel besoin des croyants de pouvoir s’associer à une célébration en direct, quand ils ne pouvaient pas y participer. A l’heure du web et de la pandémie, la pertinence de la demande n'est plus à démontrer. Mais en 1923 c’était autre chose. La réticence catholique à l’exercice, la messe radio ne sera autorisée que des années plus tard, en témoigne.

 

"La perception de l'absence (de fidèles) ne doit pas prendre le pas sur celle de la présence"

 

Que le culte radio risque de vider les églises n’est plus à l’ordre du jour aujourd’hui. Une autre question s’est fait jour, lentement mais sûrement. Elle atteste d’un renversement : peut-ont diffuser un culte avec une église vide ? Si les auditeurs du culte radio sont toujours bien présents, quoiqu’en diminution corrélée avec la baisse générale de la pratique, la diffusion d’une célébration à l’audience clairsemée est devenue la question lancinante pour Médias-pro. Pour des lieux comme les cathédrales, la réponse se profile. Non, il n’est pas judicieux de diffuser un culte où la perception de l’absence prend le pas sur celle de la présence. Pour nos grands lieux de culte, il faut soit renoncer, soit créer des événements à la hauteur des lieux, soit construire un dispositif cultuel d’espace réduit (une chapelle latérale par exemple). Ce renversement n’est pas propre au culte radio. Il est à l’image d’autres renversements dictés par la sortie de la chrétienté et le redimensionnement de l’offre des églises historiques.

 

Pour autant, ce renversement autour du culte radio nous fait entrer dans un processus plus subtil qu’il n’y paraît. Au-delà des questions strictement logistiques comme celles du choix des lieux et des inévitables économies d’échelles, nous sommes invités à repenser un service qui ne part plus du récepteur du message, mais de l’émetteur. Dans les folles années du culte radio, la question était : comment allons-nous réussir à envoyer des centaines de textes de prédication et des dizaines de copies de cassettes ? Aujourd’hui les questions sont : où trouver une communauté prête à servir la communauté des ondes ? Qui sont les ministres les plus expérimentés pour ce type de tâche ? Force est de constater que les réponses sont tout sauf évidentes. Certaines paroisses ne sont pas intéressées par l’exercice : trop de contraintes (soi-disant). Très rares sont les pasteurs d’un lieu à ne pas exiger d’avoir aussi leur tour de prêcher, même si ce n’est pas leur charisme principal…

 

"Le temps où la radio venait « placer ses micros » est révolu"

 

Ce renversement est subtil, car ce qui fait d’un culte dominical, un bon culte radio c’est un réglage très fin. Ce n’est plus seulement un bon prédicateur et un bon organiste. Certes il faut l’un et l’autre, mais cela ne suffit plus. Il faut y inclure la communauté. C’est elle qui fait l’essentiel de « la signature sonore » du culte protestant, en fine harmonie avec les autres célébrants. Au fond les exigences de la radio rappellent à bon escient que le culte est un acte public, porté par le public. Qu’il représente, au sens précis de « rendre présent », la joie d’être croyant, le sens de la prière et de l’engagement. Peut-être est-ce le moment de reconnaître, après un siècle, que le temps où la radio venait « placer ses micros » est révolu. Aujourd’hui, nous invitons les églises protestantes de Suisse romande à « missionner des communautés » à la responsabilité de célébrer en leur nom dans l’espace public médiatique.

Les enjeux vus de l'intérieur : testez ici à 360° la visite des coulisses du culte radio