Too scared to speak - une faillite spirituelle

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[pas de légende]

Too scared to speak - une faillite spirituelle

Par Pierre Farron
26 avril 2023

Le Conseil de l'Eglise évangélique réformée de Suisse - EERS, vient de publier une prise de position sur l'effondrement du Crédit Suisse. Il cherche à apporter une base théologique " aux réflexions fondamentales dont notre société civile et politique a besoin ". Malheureusement, il est très peu question de théologie dans ce document. Sur ses dix parties, sept sont des présentations de la logique économique qui sous-tend l'activité bancaire.

Dans ce discours très convenu, la santé de la place économique suisse a la priorité. La recherche du profit maximum n'est guère limitée par les quelques considérations éthiques du document. Celui-ci considère que les faillites sont un processus normal d'auto-régulation de l'économie du marché.  Sans craindre le ridicule, la prise de position de l'EERS affirme que toutes les couches socio-économiques de la Suisse profiteront d'un jeu, fait de prise de risques et de faillites, même si c'est de manière très inégale. Manifestement les enquêtes de Caritas sur le développement de la pauvreté en Suisse sont inconnues des auteurs. Tout comme les témoignages des Centres sociaux protestants qui sont en contact quotidiennement avec les victimes de cette logique marchande.

L'éthique présentée dans le document sert essentiellement de justification à la logique économique actuelle. Ceci exige le laisser-faire quand les bénéfices sont au rendez-vous et l'intervention de l'État quand la faillite est là. Des dizaines de milliers d'employés perdent leur emploi après avoir donné le meilleur d'eux-mêmes ? Ces femmes et ces hommes sont totalement absents de ce document ! Quelques considérations bibliques sur la richesse et la pauvreté sont là, pour la forme : elles sont dépourvues de toutes conséquences concrètes. Le fait que Jésus accorde une attention prioritaire au plus pauvres n'est jamais mentionné (Mt 25, 31ss). Celle-ci impose pourtant des obligations aux riches. Que ceux-ci se rassurent : le document reste totalement évasif sur ce sujet. Les banques doivent-elles être réglementées plus strictement? Dans ce document, cette perspective terrifiante est immédiatement disqualifiée comme " une tentation résultant d'un fantasme apocalyptique "[1].

Le document se termine par des considérations sur les diverses crises que nous vivons. " Les crises ne sont pas des faits dans le monde, mais des interprétations du monde " et " il n'y a pas d'interprétations justes ou fausses ". Dans ce discours d'un cynisme stupéfiant, le mot " responsabilité " est vidé de son sens. Quant à la solidarité avec les victimes à laquelle nous appelle l'Evangile, elle n'est jamais mentionnée.

Le conformisme inouï de ce document vis-à-vis d'une idéologie dominante qui maltraite les personnes au travail, crée sans cesse davantage de pauvres et saccage l'environnement fait vraiment peine à voir.

Dans ce flot de phrases convenues, le sel a perdu toute saveur (Mt 5,13).

Et le " Too big to fail " du titre prend la forme d'un " Too scared too speak " [2]

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Sur ce sujet, voir les réflexions très intéressantes d'un pasteur évangélique dans le journal  Le Courrier

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[1]   Partie 3

[2] " Trop effrayé pour prendre la parole "