La mort de Jésus, un sacrifice ?
Les interprétations sacrificielles de la mort de Jésus ont été nombreuses au long de l’histoire du christianisme et sont devenues parfois la clé unique pour comprendre cet événement. A bon droit, Jean-Denis Kraege, sur son blog (https://www.reformes.ch/blog/jean-denis-kraege/2023/04/jesus-fut-il-offert-en-sacrifice), critique cet état de fait.
Avec lui, je suis d’accord que ces interprétations ne sont pas le fait de Jésus lui-même. Toutefois, dire qu’« elles viennent de chrétiens des premières générations qui étaient attachés à la logique sacrificielle. Ils ne savaient réfléchir qu'en termes de sacrifices » me semble un peu court. Il est intéressant de constater que plusieurs auteurs du Nouveau Testament, notamment Paul et l’auteur de l’Evangile selon Jean (que j’appellerai Jean par convention), recourent à la fois à des catégories sacrificielles et à d’autres catégories.
Le langage sacrificiel est sans doute « défectueux » comme le dit Jean-Denis Kraege mais la difficulté de l’événement de la mort de Jésus est de rendre défectueux nos langages et nos représentations de Dieu, comme le constate Paul (voir 1 Co 1,18-25). C’est probablement l’une des raisons qui a conduit des auteurs comme Paul ou Jean à recourir à une diversité de langages pour donner sens à cet événement.
Il est intéressant de constater que tant Paul que Jean, ou même les auteurs des lettres aux Hébreux ou aux Éphésiens, tout en recourant à des interprétations sacrificielles, comprennent la vie, la mort et la résurrection de Jésus comme la fin des sacrifices.
La réconciliation et la communion avec Dieu que signifiaient les sacrifices, Jésus les a offertes sans sacrifice déjà durant sa vie, notamment dans la communion de table avec les « pécheurs » et dans le pardon des péchés. Sa mort n’est pas un sacrifice au sens strict, son sang n’est pas répandu sur l’autel, Jésus n’est ni brûlé ni offert à Dieu par ceux qui l’ont exécuté, sans compter que, selon l’Ancien Testament, Dieu a horreur des sacrifices humains. Elle ne peut être considérée comme un sacrifice que de manière métaphorique et donc en partie imparfaite, « défectueuse ». La mort de Jésus vue comme un sacrifice a la particularité de rendre le système sacrificiel caduc. Elle fait éclater le système de représentations auquel elle recourt.
Les images sacrificielles ont cependant une force d’évocation qui peut expliquer leur usage. Elles manifestent ce que Dieu, ou Jésus, a apporté par sa vie, sa mort et sa résurrection. Mieux encore que l’agneau pascal, dont le sacrifice rappelait la libération d’Égypte et la victoire de Dieu sur les forces de l’oppression, la mort de Jésus, « agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29) manifeste la libération de tout ce qui empêchait de découvrir et de vivre de l’amour de Dieu. Mieux aussi que tous les sacrifices offerts par les humains, Dieu a donné son Fils comme une offrande pour manifester son pardon (Rm 3,25). Il ne vient rien demander, il offre. Mieux encore que la liturgie du Grand Pardon, Jésus ouvre définitivement et pour tous l’accès à Dieu par sa fidélité à l’amour de Dieu jusque dans sa mort (He 9,24-28).
La théologie sacrificielle développée notamment par Anselme de Canterbury est bien loin de la compréhension des sacrifices dans l’Ancien Testament et des interprétations sacrificielles de la mort de Jésus dans le Nouveau.
Pour poursuivre la réflexion, quelques ouvrages en français :
Christian Grappe et Alfred Marx : Sacrifices scandaleux ? Sacrifices humains, martyre et mort du Christ, Genève, Labor et fides, 2008
Guy Lasserre : Les sacrifices dans l’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 2022.
François Vouga : La religion crucifiée. Essai sur la mort de Jésus, Genève, Labor et Fides, 2013.