Noël au plus près de la solitude
Noël loin des siens, à la rue ou en prison, est-ce vraiment Noël? Aux exclus, aux laissés-pour-compte, aux personnes en fin de vie ou à ceux que leur famille oublie, certains êtres, professionnels ou non, s’empressent de donner lumière et chaleur. Qu’ils soient aumônier de prison ou généreuse retraitée, ces Romands au grand cœur passeront les prochaines Fêtes avec les migrants, les enfants malades ou les marginaux. Un peu à l’image de l’aubergiste qui, dans le récit biblique de la Nativité, offre son étable à Joseph et Marie en guise de refuge.
Mais passer Noël avec les autres se fait aussi en délaissant un peu les siens. Ce petit sacrifice leur est donc obligatoire, mais offre des compensations humaines qui, aux dires des intéressés, en valent clairement la chandelle. Ainsi, en s’oubliant un peu au bénéfice des moins chanceux, ils tentent, dans la mesure de leurs moyens, de combler à l’échelle locale ce besoin encore bien ancré: être ensemble à Noël.
Murielle Augier, éducatrice à la Maison de Terre des hommes
Accompagnés de bénévoles, mais sans leurs parents, les enfants dont Murielle Augier s’occupe, à la Maison de Terre des hommes de Massongex, viennent «principalement d’Afrique de l’Ouest et d’Afrique du Nord». Malades, ces derniers sont en Suisse pour s’y faire opérer. «Beaucoup d’entre eux souffrent de maladies cardiaques ou de malformations diverses. Certains autres peuvent avoir ingéré des liquides toxiques comme de l’eau de Javel, l’environnement quotidien n’étant chez eux pas aussi sécurisé que le nôtre», renseigne-t-elle.
Éducatrice, Murielle Augier leur consacre donc ses 24 et 25 décembre, le temps de «chouettes moments» couronnés par l’apparition rituelle du Père Noël. «Voir la lumière dans leurs yeux est un réel cadeau», reconnaît-elle, bien que pour la majorité des enfants dont elle partage la charge, Noël soit parfois quelque chose de tout nouveau. «Même les enfants chrétiens n’ont jamais connu un Noël avec autant de lumières et d’animations.»
Une grande famille
A Massongex, Noël est d’ailleurs un événement dont les enfants sont invités à se réjouir pendant toute la période de l’Avent. «Nous mettons en place un grand calendrier», relève Murielle Augier. «Chaque jour, en plus de recevoir un bonbon ou un chocolat, les enfants peuvent bricoler des décorations qui mettent toujours plus de vie autour d’eux avant le Jour J.» Cette année, les enfants hébergés dans le Chablais seront une trentaine à célébrer Noël à Massongex. Parfois tout juste âgés de deux ans, ils peuvent compter sur l’esprit de bande qui règne dans la Maison de Terre des hommes. «Malgré le dépaysement et le manque de leur famille, ces enfants se soutiennent entre eux et forment une grande famille le temps de leur séjour.»
Florence Rufenacht, retraitée
Cela fait quatre ans que dans le village de Bercher, Florence Rufenacht propose une «table de Noël» tous les 25 décembre. En partenariat avec l’association Pro Senectute, cette retraitée de 73 ans pleine d’allant et ancienne restauratrice accueille jusqu’à quatre personnes âgées dans son foyer le jour de Noël. «Ce sont des personnes esseulées qui vivent encore chez elles et qui n’ont pas beaucoup de visites», fait remarquer Florence Rufenacht en même temps qu’elle s’insurge contre la solitude de ses invités. «Parfois, les enfants de ces personnes partent vivre à l’étranger, pour suivre par exemple un conjoint, et laissent leurs parents sans nouvelles et sans personne avec qui partager un moment chaleureux pendant les Fêtes.» Et Florence Rufenacht d’y déceler «beaucoup de chagrin», qu’elle a à cœur de dissiper au moins le temps du repas partagé. «Il y a aussi beaucoup de problèmes d’héritage qui éloignent les personnes avant l’heure», remarque-t-elle encore.
Cuisine maison
Un peu déçue de n’avoir «que des dames, car les messieurs osent un peu moins demander de la compagnie», Florence Rufenacht redouble d’efforts pour gâter ses hôtes d’un jour. «Il y a toujours une petite entrée, du saumon fumé ou un peu de foie gras. Pour le plat principal, je choisis une viande, et le dessert est maison!» détaille-t-elle. «La découverte et la dégustation du repas est bien souvent un grand bonheur pour ces personnes, qui ne sont plus toutes capables de se faire elles-mêmes à manger», déclare-t-elle encore, avant de mentionner «le grand secours» de son époux, qui lui prête main-forte dans sa générosité.
Doris Walgenwitz, aumônière de rue réformée
Depuis 2021, cette aumônière est active au sein de la Pastorale œcuménique de la rue, née de la collaboration entre les Eglises réformée et catholique du canton de Vaud. Doris Walgenwitz s’apprête donc à passer Noël dans les rues froides de Lausanne. Ou presque... «Nous avons un tout petit local au Pré-du-Marché, mais nous nous baladons afin d’aller à la rencontre des personnes du quartier», indique-t-elle. Si l’an dernier, une salle avait été prêtée à la «Pasto», cette année, ses trois ministres seront davantage «itinérants», et proposeront notamment boissons, soupe et de quoi grignoter sur la place de la Riponne.
Précarité
«Il y a beaucoup de solitude chez les gens dans la précarité que nous rencontrons», note Doris Walgenwitz. Elle parle alors des gens en rupture avec leur famille, issus de la migration ou touchés par les addictions. En partageant une collation de fête et un petit cadeau, la chaleur humaine serait «contagieuse». Selon l’aumônière, «beaucoup de gens du quartier viennent marquer leur soutien à notre démarche, notamment une octogénaire qui est un peu devenue notre mascotte». L’année passée, Doris Walgenwitz confie d’ailleurs avoir invité cette dame chez elle, «afin qu’elle puisse, elle, aussi se sentir en famille».
Passer ainsi Noël loin des siens, cela représente-t-il un sacrifice pour l’aumônière? «Il est important d’être là pour les laissés-pour compte», déclare-t-elle, avant de noter que la période des Fêtes est particulièrement difficile pour les personnes qui les passent dehors: «Certains détestent Noël car cela leur rappelle plus que jamais leur exclusion sociale.» Doris Walgenwitz avoue enfin que sa propre famille se montre compréhensive face à son engagement: «Je prends une semaine de congé après les Fêtes, afin de me rattraper un peu.»
Myriam Toujani, travailleuse sociale
Musulmane, elle travaille pour les catholiques. Plus précisément pour Le Roseau, une structure qui fait partie du Service solidarités de l’Eglise catholique. Ce centre d’accueil de jour, animé par des aumôniers et des bénévoles, bénéficie notamment de l’énergie inébranlable de cette travailleuse sociale que la période de Noël réjouit toujours, malgré sa religion personnelle. «En fait, je suis la plus chrétienne des musulmanes!» s’amuse cette fille de maman catholique et de papa musulman. «J’ai un demi-frère qui est diacre et un grand-père qui était sacristain», révèle-t-elle encore avant de préciser ce qu’elle propose aux bénéficiaires du Roseau, bien souvent des familles de migrants issus de diverses communautés ou horizons sociaux. «Nous organisons un Noël très rassembleur, où chacun oublie ses différences», détaille Myriam Toujani. Elle se souvient notamment d’un «Noël érythréen très réussi», il y a six ans, dans les casernes de Moudon et qui a réuni plus de 200 personnes. Avec une distribution de cadeaux pour les enfants grâce aux nombreux dons reçus. «Cette année, nous distribuerons de la soupe et des petits cornets surprise pour les enfants.»
Difficile de décrocher
Egalement présidente à titre bénévole de l’Epicerie du cœur de Moudon, association de distribution alimentaire pour les personnes en situation de précarité, Myriam Toujani voit Noël comme «un moment qui fait ressortir le meilleur chez les gens». Et même si de nombreux bénévoles viennent l’aider à écouter et accompagner les personnes socialement fragiles qui viennent à sa rencontre, elle avoue «qu’il est parfois difficile de décrocher». «Ma fille cadette me rejoint au Roseau dès qu’elle a un moment de libre. Mes deux filles savent mon engagement et m’encouragent. Mais il m’arrive parfois, le week-end, de me forcer à couper complètement. Par respect pour ma famille.»
Mathias, aumônier de prison
«Un jour, un détenu m’a dit qu’en prison les émotions sont multipliées par dix», confie Mathias, les yeux et le cœur déjà tournés vers Noël. «Evidemment, cette période marque plus que jamais l’éloignement d’avec sa famille pour une personne emprisonnée», souligne l’aumônier catholique, qui officie au sein des Etablissements de la plaine d’Orbe. Heureux d’avoir «la permission d’entrer dans les cellules», Mathias avoue que, très souvent, «on appelle directement l’aumônier» à cette période-là.
Une carte pour téléphoner
«Entre Noël et Nouvel An, je veille à ne jamais prendre de vacances, afin d’être disponible pour les détenus», déclare-t-il, avant de relever le besoin de spiritualité et de traditions qui apparemment se font alors ressentir dans les geôles vaudoises. Et cela, qu’on fasse de la préventive ou de la prison ferme. Un besoin auquel Mathias répond tout particulièrement grâce à des célébrations œcuméniques du 23 au 25 décembre. «J’en assure la tenue avec mon collègue réformé», détaille-t-il. Insistant sur le rôle symbolique et réconfortant d’un petit cadeau, Mathias explique que service de l’aumônerie organise le don d’un sachet de Noël, contenant notamment une plaque de chocolat et une carte de téléphone. Un présent à chaque fois très apprécié: «Cela arrive à point pour certains prisonniers aux faibles ressources financières. Ces minutes de téléphone sont une petite compensation au manque de lien avec leurs proches.»
Bruno Fellay, cuisinier dans un hôpital de soins palliatifs
«C’est leur dernier Noël et, au fond d’eux, ils le savent très bien», souffle Bruno Fellay. Depuis plus de vingt-six ans, celui qui se surnomme lui-même «l’ancêtre de Rive-Neuve», malgré sa petite cinquantaine, est le chef cuisinier de l’hôpital de soins palliatifs. A Blonay, la vingtaine de résidents a ainsi la chance de bénéficier de son attention toute particulière. «Je souhaite que notre équipe de cuisine ait un contact quotidien avec chaque patient», renseigne-t-il. Ainsi les habitudes alimentaires de chacun sont prises en compte, Bruno Fellay se montrant à l’écoute des petites préférences et des péchés mignons de ces personnes en fin de vie.
«Aussi la fête»
«On est des privilégiés, par rapport au monde de la restauration», reconnaît Bruno Fellay avant de souligner la mobilisation de son équipe pendant cette période: «Pour Noël comme pour le jour de l’An, nous ne prenons pas tellement de vacances, mais quelques jours de congé entre deux.» Selon le cuisinier, «le repas est un temps qui permet aux résidents de Rive-Neuve de s’évader par les plaisirs de la table».
«Nous faisons un Noël des familles une semaine avant Noël, un vrai repas de réveillon le 24 décembre au soir et un autre le 25 à midi», détaille ce chef qui annonce encore qu’en fin d’année, il met «un petit plus les petits plats dans les grands». Dans l’idée que ces repas se passent «comme à la maison», Bruno Fellay a déjà prévu de la dinde farcie et du filet mignon. «Certains résidents ne pouvant pas rentrer chez eux, il est important que ce soit aussi la fête ici», se réjouit-il depuis sa cuisine.