Ingérable… comme une institution démocratique

Gérer l'EERV, une mission impossible? / ©AndreyPopov/iStock
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Gérer l'EERV, une mission impossible?
©AndreyPopov/iStock

Ingérable… comme une institution démocratique

Par Joël Burri
15 décembre 2022

Trois des sept membres de l’exécutif de l’Église protestante réformée vaudoise ont jeté l’éponge en cours de mandat. De quoi raviver la schadenfreude tant des donneurs de leçons qui savent mieux que tous ce que devrait être une Église que des anticléricaux qui voient dans l’Église un anachronisme.

Mais sans nier la souffrance vécue par ceux qui jettent l’éponge, faut-il y voir un scandale? Il est vrai que cela commence à faire beaucoup! Si l’on met de côté le démissionnaire qui invoque des questions de santé, on s’aperçoit que les sortants partent avec le sentiment amer de ne rien pouvoir faire avancer dans cette baraque.

Des compétences indéniables

Perry Fleury et Emmanuel Jeger sont tous des pros dans leur domaine et ils ont mis à disposition de l’Église leurs grandes compétences professionnelles. Ils se sont sentis perpétuellement désavoués par le Synode (organe délibérant). Et à cette liste, j’aurais envie d’ajouter Boris Voirol entré dans l’exécutif à moins d’un an de la fin de la législature précédente (2014-2019) qui apportait également des compétences reconnues, mais qui n’a lui pas été reconduit pas le synode lors de l’élection de l’exécutif 2019-2024.

Ces messieurs se sont pourtant courageusement engagés en pleine crise (encore une) sur la gestion des ressources humaines de l’institution. Certaines voix appelaient alors à une professionnalisation de la gestion de l’Église. Oui sauf qu’entre la culture d’entreprise et le synode on a le sentiment que les relations relèvent du «Je t’aime moi non plus».

Nombreux exécutifs en crise

Cela est regrettable, mais est-ce si spécifique à l’Église? Dans une autre vie professionnelle, je me souviens avoir écrit un papier sur les abondantes démissions dans les municipalités. Un texte que je n’ai pas retrouvé dans les archives, mais à la place je suis tombé sur une «Pluie de démissions dans les municipalités vaudoises» en 2021, «Un tsunami de démissions mine les petites communes romandes», en 2018 ou même des «démissions en cascade dans les Municipalités vaudoises» en 2003. Et je suis sûr qu’en cherchant un peu on trouverait bien d’autres…

L’EERV fonctionne selon un modèle presbytéro-synodal et démocratique. Les décisions se prennent donc de concert entre les niveaux cantonaux, régionaux et locaux selon un modèle inspiré du modèle démocratique civil. Certains vont même jusqu’à dire que c’est ce modèle ecclésial qui a inspiré le modèle civil, même s’il s’agit là peut-être d’un raccourci. Pas étonnant donc que la crise qui touche la gouvernance des institutions civiles touche également notre Église. Mon seul regret irait peut-être à la décision de garder le silence qui donne une légère impression d’omerta dans une situation où il n’y a probablement rien à cacher.

La lenteur de la démocratie

Trop lent, incapable d’accueillir sans contestation les propositions de professionnels? Faut-il abandonner l’horizon démocratique? Ce sont des questions du même type qui ont été posées au politologue de l’UNIL Antoine Chollet dans Dieu, la nature et nous, le hors-série de Réformés (pp 48-51). Ses réponses liées à la question de l’urgence climatique me semblent également pertinentes dans le contexte de cette crise de gouvernance d’une institution. «Ce qui m’inquiète c’est qu’une partie des militants et militantes climatiques décrédibilisent les outils de la démocratie. Je ne crois pas qu’une ‹tyrannie bienveillante, bien informée et animée par une juste compréhension des choses›, selon l’expression du philosophe allemand Hans Jonas, soit souhaitable.»  Dans la même interview, Antoine Chollet prévient également: «Pour qu’une décision sérieuse puisse avoir lieu, il faut bien reconnaître que les procédures parlementaires doivent prendre du temps. Attendre d’un parlement qu’il prenne une décision immédiate, c’est faire fi de son fonctionnement.»

Un véritable ministère

On pourrait également ajouter que contrairement à un capitaine de bateau ou un propriétaire d’entreprise, un membre d’exécutif n’est pas là pour diriger seul son entité, quitte à prendre conseil lorsqu’il le peut, il est l’exécutant d’une volonté collective débattue dans un organe délibérant. Les membres d’un conseil fédéral, d’un conseil d’État, d’une municipalité ou d’un Conseil synodal ne sont pas appelés à mener toujours les politiques auxquelles ils et elles croient le plus. On qualifie souvent les membres d’exécutifs de «ministres», un terme qui désignait jadis «celui qui est chargé d’une fonction, d’un office, celui qu’on utilise pour l’accomplissement de quelque chose», rappelle Le Grand Robert. Et peut-être devrions-nous davantage insister sur ce point quitte à refroidir quelques candidatures.

Faut-il se satisfaire du fait que l’Église réformée ne souffre pas plus que n’importe quelle autre institution d’une gouvernance aussi lourde? Faut-il faire sienne la petite phrase de Winston Churchill: «la démocratie est un mauvais système, mais elle est le moins mauvais de tous les systèmes» pour se convaincre que l’on ne pourra pas faire mieux?

Une volonté de changement

À ceux qui pensent que les Églises, qui ne sont pourtant que des institutions humaines, ont un devoir d’exemplarité, je répondrais que justement elles font un travail sur ces questions. Demain vendredi 16 décembre, un point presse est annoncé par l’Église réformée vaudoise: une feuille de route pour la gouvernance 2023 doit y être présentée aux quelques journalistes qui feront le déplacement.

Des solutions sont cherchées, des réflexions sont menées. Ce n’est pas gagné, mais demain peut-être que l’on pointera du doigt l’Église réformée vaudoise non en raison des dysfonctionnements de sa gouvernance, mais pour se servir des solutions qu’elle aura su inventer pour les appliquer aux gouvernances communales. Parce qu’il serait bon que nos institutions démocratiques cessent d’épuiser des hommes et des femmes qui s’engagent pour le collectif et que les journalistes n’aient plus à chercher de nouvelles métaphores telles que «litanie», «cascade», «tsunami» ou «pluie» pour évoquer des démissions à répétitions.