Ne pas confondre les personnes et les institutions
Le numéro de décembre de Réformés comporte, en p.5, un article au titre étrange: «En Valais, les pasteurs béniront les homosexuels (ou pas)»
Il s’agit en fait de la bénédiction des mariages de couples de même sexe et non pas de la bénédiction des personnes en fonction de leur préférence sexuelle. La confusion est révélatrice de l’incapacité de certaines personnes en Église comme d’ailleurs hors de celle-ci, de distinguer une institution civile et sociale (in casu, le mariage) des personnes qui l’ont peut-être adoptée.
L’Église n’a pas à faire acception de personnes. D’ailleurs, comme le disent fort bien les principes constitutifs de l’EERV, elle «remet à Dieu le jugement des cœurs». Elle ne saurait refuser d’accueillir, voire de bénir de la part de Dieu une personne le demandant, sous prétexte qu’elle n’en serait pas digne. C’est, à mon avis, le principe fondamental de l’inclusion que l’Église semble avoir découvert récemment.
Autre est la question du rapport entre l’Église et une institution sociale, plus vieille qu’elle et indépendante d’elle dans beaucoup de civilisation, à savoir le mariage.
Le mariage a été et est peut-être encore utile à la société dont il assure —en y mettant de l’ordre!— la stabilité, la transmission des biens et la succession des générations. C’est la société qui décide de la manière dont elle veut organiser cette institution. Pendant des siècles, certes, l’Église (catholique, orthodoxe, puis aussi l’Église de la Réforme) a «récupéré» l’institution du mariage souvent d’ailleurs pour en faire un moyen de pouvoir.
En Suisse, depuis 1874, la société civile a repris la main sur l’institution du mariage et l’Église —réformée en tous les cas, où le mariage n’est pas un sacrement— n’a peut-être plus vraiment su ce qu’elle faisait lors du rite de bénédiction d’un mariage, rite qu’elle n’avait —et n’a toujours— le droit de célébrer que si la société civile le lui permet. Ce changement de situation aurait dû faire l’objet d’une réflexion théologique. Or lorsque le Synode de l’EERV a débattu de la création d’un rite particulier pour les couples en partenariat enregistré, j’ai été époustouflée de découvrir que l’église protestante en général n’avait pas l’air de savoir vraiment ce que représentait théologiquement pour elle un mariage, donc une «bénédiction de mariage». La nécessité est ainsi apparue de définir à ce moment —et pour la première fois dans l’EERV en tous les cas— le mariage comme l’union d’un homme et d’une femme, ce qui correspondait nettement à l’avis d’une majorité des fidèles.
Dès le moment où la société civile s’est mise à penser au mariage comme une à institution concernant strictement deux personnes et non plus comme à une institution constitutive de l’ensemble de la société, l’Église était «piégée»; elle ne pouvait refuser de bénir des personnes, ce qui est évident. Restait toutefois la question de la valeur théologique de l’institution sociale et civile appelée depuis des siècles, mariage. L’EERV a évacué le débat, le réduisant à l’amour de deux personnes et ignorant même le problème du droit à l’enfant greffé alors par la société civile sur le mariage.
Dès lors, il est inexact de dire qu’en Valais, les pasteurs béniront les homosexuels (ou pas), ce qu’ils béniront (ou pas) c’est une institution civile dont la société elle-même ne sait plus vraiment à quoi elle sert.