L’aide humanitaire des Églises est-elle néocoloniale?
L’aide humanitaire chrétienne, souvent née dans des contextes impérialistes et coloniaux officiellement révolus, est-elle encore imprégnée de cette culture? Plus qu’un tabou, l’existence de pratiques «néocoloniale» dans les Églises ou organisations chrétiennes actives dans l’aide humanitaire est un «impensé», ont pointé les participantes à cette discussion très suivie.
Qu’entendre par le terme «néocolonialisme»?
«C’est le maintien de cadres et de structures qui perpétuent des situations d’inégalité», a détaillé Dionne Gravesande, conseillère pour les relations oecuméniques et la théologie de l’ONG britannique Christian Aid, fondée par les Églises après la Seconde Guerre mondiale pour accueillir les réfugiés. Il peut s’agir de pratiques de communication de données, de la manière d’élire et de choisir des responsables, ou encore d’un vocabulaire et de méthodes issus d’un contexte spécifiquement occidental, et ne s’appliquant pas partout.
Souvent, ces cadres n’en ont pas conscience. «Lors du typhon Rai en 2021, qui a ravagé les Philippines (375 morts au moins, 400 000 déplacés), d’où je suis originaire, j’ai vu nombre de partenaires reproduire des comportements et des pratiques problématiques de manière inconsciente, car totalement internalisés», a témoigné Patricia Mungal, membre du Conseil national des Églises des Philippines. Si ces pratiques existent, elles ne sont évidemment pas répandues partout de la même façon et avec la même intensité. En revanche, elles sont rarement interrogées.
Quelles origines ?
Les racines de cette situation sont bien sûre historiques et demanderaient à être étudiées. Mais le problème principal identifié par tous les participants provient de la manière même dont l’aide humanitaire est en général répartie. «Très souvent, les Églises partenaires ou bénéficiaires de l’aide sur le plan local sont dans une situation de dépendance. Elles n’ont pas beaucoup de place pour développer leurs actions, on les dessine presque pour elles à l’étranger», a ainsi déploré Theresa Carino, chercheuse et consultante pour la Fondation d’aide sociale Amity, basée en Chine et créée par des protestants. L’autre souci est le manque d’éducation sur ce sujet.
Quelles solutions ?
Les participantes ont esquissé plusieurs pistes :
– Repenser d’abord les termes d’«aide humanitaire». Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, cette «aide» a été massive; pourtant, les indicateurs de développement humain sont en recul. Il est peut-être temps de repenser ces outils?
– Travailler plus systématiquement de manière interculturelle et interreligieuse.
– Commencer par faire confiance aux communautés qui reçoivent des aides.
– Inclure les bénéficiaires de ces aides, les mettre au centre des processus de décision.
– Entamer des questionnements au sein même des organisations humanitaires.
Act Alliance a ainsi commencé à mettre en place tout un processus interne pour être plus juste. «Nous voulons questionner en quoi notre organisation a pu perpétuer des pratiques liées au racisme ou à la colonisation. Ce travail doit déboucher sur des changements de politiques, de pratiques», a expliqué Rudelmar Bueno de Faria, secrétaire général de l’organisation. Pour le moment, la consultation interne en est à ses débuts, mais à terme les partenaires de l’organisation devront inévitablement se confronter à ces problématiques.