Les occasions manquées

Un arbre en partie brisé
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Un arbre en partie brisé

Les occasions manquées

Par Sandrine Landeau
27 septembre 2022

Ce jour-là avait été très compliqué. Une succession de petits imbroglios à démêler, de contrariétés diverses faisant naître un sentiment de découragement, et une grande fatigue due à une mauvaise nuit. Le soir, je devais conduire un moment de prière et cela me pesait : j’aurais voulu faire une pause, repenser aux différents moments de ma journée, et rentrer me coucher tôt. Nos agendas ne sont pas toujours en phase avec nos besoins…

Pour me donner de l’élan, j’ai choisi d’ouvrir ce moment de prière avec une musique qui me porterait moi, me doutant bien que sans doute certaines des personnes présentes ne la trouveraient pas à leur goût.

Première occasion manquée : comme pasteure, ce n’était peut-être pas le meilleur choix à faire, et peut-être aurais-je pu au moins expliciter les raisons qui m’avaient poussée à faire ce choix, dire simplement ma lassitude et mon découragement de ce jour-là. A la sortie, l’une des personnes présentes m’a asséné – c’est ainsi que je l’ai ressenti – cette petite phrase : « ta musique était spéciale ».

Deuxième occasion manquée : Ayant, même un soir de grande fatigue, quelques ressources en matière d’écoute, j’étais capable d’entendre cette derrière cette formulation maladroite quelque chose du type : « la musique que tu as choisie ne m’a pas aidée à entrer dans ce temps de méditation », ce qui correspondait je crois au vécu de cette personne. Sentez-vous la différence entre les deux formulations ?

Dans le premier cas, on met tout du côté de l’autre, on juge ce qu’il propose (et on n’est pas loin de juger la personne elle-même), au risque de blesser – faut-il préciser qu’après ma journée assez difficile je n’avais pas besoin d’une telle remarque ? Mais comment mon vis-à-vis aurait-il pu connaître mon état puisque je n’en avais rien dit ? Dans le second on parle de soi, de son vécu, et on le partage à l’autre. Ce n’est pas jugeant, ce n’est pas agressif. On peut même imaginer que ça puisse être le point de départ d’un questionnement : « peux-tu m’expliquer comment tu l’as choisie ? » ou bien « peut-être que je ne suis pas le/la seul.e ? veux-tu que je demande aux autres ? » ou encore « est-ce que nous pourrions imaginer de choisir à tour de rôle une musique pour ce moment ? cela allégerait ta tâche et nous ferait découvrir de nouveaux univers », et bien d’autres possibilités encore. Parler de soi n’est certes pas simple, parce que ce n’est pas habituel : cela nous oblige à regarder nos vulnérabilités. Mais n’est-ce pas ce à quoi nous appelle Jésus, lui qui ne cesse d’interroger les personnes qu’il rencontre : « toi, qui dis-tu que je suis ? », « que veux-tu que je fasse pour toi ? ».

Troisième occasion manquée : recevant cette phrase qui venait dénigrer le moyen qui m’avait permis d’entrer dans un profond moment de prière, j’ai vaguement grommelé et j’ai retenu une remarque acerbe (c’est déjà ça). Je n’ai pas reformulé pour vérifier mon hypothèse selon laquelle la musique ne l’avait pas aidée à entrer dans le moment de prière. Je n’ai pas expliqué mon choix. Je n’avais plus l’énergie de cela. Et cette conversation en est restée là. Rien de grave, mais un goût d’inachevé.

Nos journées sont tissées de ces petites occasions manquées, qui à la longue minent nos élans et nos relations.

Qu’en faire ? Pour moi, je les dépose devant Dieu dans la prière, lui demandant de m’aider à en manquer moins le jour prochain, de venir vivifier de son souffle les rencontres et les relations qui me sont données à vivre. Et cela fait une différence ! Et vous ?