Pour un certain islam, «le burkini serait dangereux»

KEYSTONE/DPA/Rolf Haid / Les burkinis s'invitent dans les piscines
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KEYSTONE/DPA/Rolf Haid
Les burkinis s'invitent dans les piscines

Pour un certain islam, «le burkini serait dangereux»

Alors que la polémique sur le port du burkini a atteint les piscines vaudoises, le professeur Wissam Halawi, spécialiste de l’islam à l’Unil, nous offre un éclairage théologique sur cette pratique aussi brûlante qu’actuelle.

Après la France, c’est en Suisse, en terres vaudoises mêmes, que l’on voit fleurir toujours plus de burkinis aux abords des piscines. Si cette tenue ne passe pas inaperçue, allant jusqu’à susciter agacement ou propos polémiques, elle ne saurait être comprise en dehors de l’injonction faite dans certains milieux musulmans, de couvrir le corps des femmes. Explications avec Wissam Halawi, professeur d’histoire sociale et culturelle de l’islam et des mondes musulmans à l’Université de Lausanne.

D’où vient l’obligation de couvrir le corps des femmes dans l'islam? Du Coran?

Voiler le corps de la femme est une tradition religieuse tardive en Islam. Le Coran n’est pas clair sur ce sujet. Le terme le plus usité pour désigner aujourd’hui le voile est «hijâb»; or les sept occurrences de ce terme dans le texte coranique prennent toutes le sens de «rideau de séparation» et non de voile.

Les deux autres vocables (jilbâb et khimâr) ne signifient pas non plus le voile intégral ou partiel du corps de la femme. Le jilbâb renvoie à un signe vestimentaire distinctif des femmes libres (dont celles du Prophète), afin de les distinguer des femmes esclaves pouvant être abordées en public pour des services sexuels. Force est de constater que le verset ne précise pas la partie du corps que ces femmes libres devraient couvrir.

Cette ordonnance ne serait donc pas si claire dans le Coran?

La confusion persiste en effet. Dans le verset 31 de la sourate 24: «Dis aux croyantes […] de ne montrer que l’extérieur de leurs atours, de rabattre leurs khimār sur leurs poitrines.» Bien que le texte s’adresse ici à l’ensemble des femmes croyantes, il indique la seule nécessité de se couvrir la poitrine du regard des hommes étrangers capables de passions charnelles.  

Et qu’en est-il alors des autres parties du corps?

La notion coranique de «‘awra» désigne «les parties du corps à cacher». Elle est largement commentée dans les milieux conservateurs islamiques pour légitimer l’obligation de voiler les femmes, alors que dans le Coran ce terme concerne aussi bien les femmes que les hommes. Cette notion se définit en fonction de la personne qui regarde la femme ou l’homme en question: si une femme a un penchant pour les jeunes garçons, ceux-ci, bien qu’impubères, sont alors dans ce cas précis concernés par la ‘awra.

Mais alors, sur quels textes se fonde l’injonction de couvrir le corps des femmes?

Les savants musulmans, en se fondant sur le Coran 24:31, qu’ils complètent par des hadiths, pensent le voile de la femme d’un point de vue éthique. Notons que l’éthique en islam est clairement favorable aux hommes et à la masculinité en général, conformément aux considérations morales des sociétés patriarcales. De là, plusieurs hadiths, mis en circulation après la Révélation coranique, indiquent l’obligation de voiler la femme musulmane.

Y aurait-il consensus sur la question?

Les exégètes et juristes musulmans sont unanimes sur l’obligation du port du voile, qui en définitive devient un acte obligatoire effectué dans la voie de Dieu, au même titre que la prière et le jeûne.

Nonobstant cette unanimité doctrinale, les juristes musulmans présentent des divergences d’interprétation. Certains autorisent l’homme à obliger sa femme de porter le voile, étant donné qu’il est responsable de son salut éternel et que le port du voile est l’un des éléments essentiels pour plaire à Dieu. Selon la position plus radicale de l’imam al-Sabūnī, la femme qui refuse de porter le voile doit être considérée comme une apostate; et donc soumise à la peine de mort!

A contrario, dans son recueil de hadith, al-Tabarānī affirme que lorsque le calife Umar ibn al-Khattâb enjoignit les femmes du Prophète de porter le voile, Zaynab, fille de ce dernier, répondit: «Fais-tu le zélé à notre encontre alors que la révélation descend dans nos maisons?»

Vous-même, en tant que spécialiste, comment analysez-vous cette pratique?

Aujourd’hui, le voile de la femme musulmane est devenu un signe identitaire et s’intègre dans la construction identitaire islamique. Des femmes modernes et cultivées, de même que les converties, défendent le port du voile (parfois intégral). Selon elles, il est en conformité aux obligations divines; le porter est un acte libre de soumission à Dieu et non aux hommes. Il est de surcroît un signe distinctif de leur appartenance à l’islam.

Toutes ne font cependant par le choix de le porter…

Évidemment, d’autres femmes n’ont le choix que de porter le voile à cause de la pression sociale et politique (par exemple en Iran). Clairement ici, il ne s’agit pas d’un acte volontaire, mais plutôt une soumission à la vision masculine de la morale religieuse. Le voile prouve que la femme n’est pas frivole, contrairement aux non-musulmanes occidentales, dont les mœurs sont jugées corrompues. Une opposition claire s’instaure entre l’identité islamique et l’Occident.

Et qu’en est-il du port du burkini? N’y a-t-il des courants de l'islam qui le condamne, le jugeant déjà trop libéral?

L’islam, tant religieux que sociétal, est multiple et polyforme. Les religieux, selon s’ils sont salafistes, conservateurs ou modérés, littéralistes ou libéraux, n’ont pas la même lecture des textes sacrés (Coran, hadith). Les ultra-conservateurs à l’instar des salafistes ou les partisans d’un islam extrême comme les talibans, ou encore les personnes fraîchement converties notamment en Europe, affichent parfois des positions idéologiques extrêmement fortes, allant jusqu’à la soustraction de la femme de l’espace public (s’il n’est associatif), dont le monde sportif. En plus d’exposer l’allure du corps féminin susceptible d’attiser la passion des hommes, le burkini serait ainsi dangereux car libérateur pour les femmes écrasées sous le poids de la tradition masculine de «voilement».   

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Wissam Halawi, professeur d’histoire sociale et culturelle de l’islam et des mondes musulmans à l’Université de Lausanne
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