Jusqu'où refuser la guerre?

Symbole de paix, dessiné sur le mur de Berlin. / © iStock
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Symbole de paix, dessiné sur le mur de Berlin.
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Jusqu'où refuser la guerre?

Pacifisme
Répondre à la violence par la violence est voué à l’échec: telle est la conviction des mouvements pacifstes qui invitent à renoncer à la tentation de faire face à une agression avec des armes.

«La guerre est un jeu dangereux qui se fait à deux. Tout seul, on ne peut pas faire la guerre», insiste le pasteur retraité Michel Monod de Genève. Formateur en communication non violente, il tire de ses convictions chrétiennes des positions résolument pacifistes. Face à une guerre d’agression comme celle que subit actuellement l’Ukraine, son discours n’est-il pas ébranlé? «Si les Ukrainiens refusaient de combattre, l’Ukraine serait probablement russe aujourd’hui, elle l’a déjà été! Elle serait probablement comme la Biélorussie ou le Kazakhstan… Et ces pays vivent des révolutions qui n’ont pour l’heure pas réussi, mais qui montrent que la volonté du peuple s’exprime aussi autrement qu’au travers des guerres», note le pasteur. «Avec les armes d’aujourd’hui, la résistance n’a pas de sens, il ne faut pas essayer d’être plus fort que les armes», constate-t-il. «Jouer le jeu de la guerre est une attitude suicidaire qui détruit la vie de millions de gens. Le prix est trop lourd. Tout, y compris une invasion – peut-être temporaire –, vaut mieux que la guerre.»

«La guerre, c’est une personne non fonctionnelle qui se lance dans une aventure dramatique. On n’a pas à répondre à ça. C’est une calamité et il faut y réagir de façon fonctionnelle, en essayant par d’autres moyens, non violents, de rétablir une situation, avec par exemple des grèves, des manifestations, comme cela se fait en Biélorussie», explique Michel Monod. «Répondre à la violence par la non-violence, être fonctionnel face à des personnes non fonctionnelles, c’est ce que Jésus nous a transmis. Mais cela s’apprend. Il faut se préparer à faire face à de telles situations.»

D’autres leviers

Pauline Schneider, secrétaire politique au Groupe pour une Suisse sans armée, reconnaît qu’elle ne peut rester indifférente face aux mouvements ukrainiens qui déclarent qu’envoyer des armes est la seule façon de les aider. «Mais je pense qu’il y a deux raisons de ne pas le faire», explique-t-elle. «D’abord, la Suisse dispose de leviers, comme les sanctions économiques, l’accueil des réfugiés et des objecteurs russes. Mais il ne faut pas oublier non plus qu’après la guerre ces armes ne seraient pas restituées. On a beau les envoyer à des résistantes et des résistants sur place, on ne sait pas où elles vont terminer. L’armement, c’est une industrie meurtrière qui dispose de ses lobbys», dénonce-t-elle.

Réponse proportionnelle

Le Conseil œcuménique des Eglises dans sa déclaration sur la paix juste appelle à «rechercher la justice et la paix pour tous les être humains». D’autres théologies chrétiennes, en particulier la doctrine catholique romaine, reconnaissent l’existence d’une guerre juste. Un droit à une autodéfense proportionnelle et une intervention pour venir en aide aux peuples injustement attaqués. Une tradition qui trouve ses origines chez saint Augustin, rappelle Religion News Service dans un récent article. Dans son encyclique Fratelli Tutti de 2020, le pape François a toutefois pris ses distances: «Nous ne pouvons plus penser à la guerre comme une solution, du fait que les risques seront probablement toujours plus grands que l’utilité hypothétique qu’on lui attribue […]. Face à cette réalité, il est très difcile aujourd’hui de défendre les critères rationnels, mûris en d’autres temps, pour parler d’une possible ‹guerre juste›. Jamais plus la guerre!»

Convaincu par les thèses pacifstes entre la Première et la Seconde Guerre mondiale, le théologien allemand Dietrich Bonhoeffer verra son éthique bouleversée durant la Seconde Guerre: il se méfie des théologies «désincarnées», qui ne prennent pas en compte les réalités humaines, relate l’ouvrage de Frédéric Rognon, Dietrich Bonhoeffer. Un modèle de foi chrétienne incarnée et de cohérence entre les convictions et la vie (Olivétan, 2011). «Je crains que les chrétiens qui n’osent avoir qu’un pied sur la terre n’aient aussi qu’un pied au ciel», a-t-il écrit à sa fiancée. Alors qu’à un codétenu il aurait dit: «Si un fou sur le Kurfürstendamm [artère principale de Berlin] lance son auto sur le trottoir, je ne puis pas, comme pasteur, me contenter d’enterrer les morts et de consoler les familles. Je dois, si je me trouve à cet endroit, bondir et arracher le chauffeur de son volant.»